Hannibal, le plus grand ennemi du documentaire
par Guzecha
mardi 30 mai 2006
Après l’éruption du Vésuve, une autre catastrophe s’abat sur les Romains de France 2 : Hannibal, pas encore cannibale, va faire vaciller la puissante Rome !
Je regarde peu la télé, mais lorsque je suis tombé sur la bande-annonce du dernier docufiction diffusé sur France 2, mon intérêt pour l’histoire antique m’a décidé à passer la soirée devant le petit écran. Mal m’en a pris.
Le principe du docufiction, puisqu’il faut l’appeler ainsi, est simple et séduisant : on s’appuie sur des faits historiques avérés, et on les retrace à la façon d’un téléfilm entrecoupé de commentaires didactiques. Le but est louable : distraire pour enseigner. Un concept "2 en 1" très à la mode dans le PAF actuellement.
C’est alléchant, mais la mayonnaise ne prend pas, et sur les deux tableaux en plus !
Le côté documentaire s’attache uniquement à l’expédition carthaginoise sur le sol italien, un des plus audacieux faits d’armes de l’Antiquité.
- Rien, ou si peu, sur Hannibal avant et après.
- Deux mots sur la Première Guerre punique, qui est à la deuxième ce que 1914-1918 est à 1939-1945.
- Une seule carte, représentant le Bassin méditerranéen, probablement dessinée par le petit-fils du réalisateur, sur laquelle apparaissent de temps à autre des noms de lieux. Pas de couleurs pour expliquer l’étendue des zones d’influence carthaginoise et romaine et leur évolution dans le temps.
- La rivalité séculaire entre les deux villes effleurée sans qu’on explique les différences fondamentales entre les deux cités.
Pas d’erreur majeure non plus, mais franchement on en apprend plus en un quart d’heure sur Wikipedia que pendant une heure et demie devant son poste. On a un peu le sentiment de survoler, mais avec un parti pris de vulgarisation, ça passe.
Pour la partie "téléfilm", alors là, catastrophe. Pire que le Vésuve ! On retrouve, exacerbés, les défauts qu’on avait pu voir dans le docufiction sur les derniers jours de Pompéi.
- Le casting, d’abord. Pourquoi faire jouer Hannibal, sémite, par un acteur ressemblant plus à Robbie Williams en panne de rasoir qu’à un oriental ? Et Scipion, avec sa tête de British, évoque autant le Romain que moi un guerrier masaï ! Les soldats carthaginois, hormis quelques blacks embarqués dans l’affaire, ont trop des têtes d’occidentaux pour qu’on les prenne un instant pour l’armée d’une puissance d’Afrique du Nord. Un casting à faire passer celui de l’Alexandre d’Oliver Stone pour un modèle de réalisme (et pourtant Colin Farrell et Angelina Jolie...)
- Le jeu des acteurs est calqué sur un téléfilm de série Z. On a le sentiment d’une "contemporanisation" des hommes et des situations de l’époque. Aucune tentative de prise de distance historique dans le langage ou les tournures. A ce titre, l’entrevue entre Hannibal et Scipion avant Zama est exemplaire : le face à face des deux héros, avec le Scipion british qui regarde ailleurs en causant à son adversaire comme s’il était encore à l’Actor’s studio. Il ne manque plus que les rires en boîte pour se croire dans une sitcom.
- Le procédé du téléfilm aurait dû amener un souffle épique pour plaquer le téléspectateur à son siège et gommer tout l’aspect rébarbatif qu’un documentaire peut avoir -à tort, il suffit de regarder France 5- aux yeux du grand public. Eh bien, là encore, c’est raté : trois pauvres éléphants qui se battent en duel, des armées réduites lors des plans rapprochés et ridiculement gonflées par les trucages numériques jusqu’à couvrir des plaines. On a repris le bon vieil artifice de la bataille dans la forêt pour meubler la pellicule comme dans le Charlemagne qu’on nous avait infligé il y a une dizaine d’années. Passons sur le tournage en Bulgarie, censée condenser les paysages africains, alpins, espagnols, italiens du Nord et du Sud. L’hémoglobine est, elle, au rendez-vous, à croire qu’une débauche de gros plans sanguinolents suffit à donner du réalisme aux images. Le seul point positif me semble le parti pris de ne pas avoir fourni les soldats en matériel clinquant hollywoodien, l’état de leurs uniformes étant certainement plus proche de la réalité que des cuirasses et casques flambant neufs.
En résumé, si les Français aiment l’histoire, comme on le dit, cessons de leur infliger ce genre de pantalonnade à des heures de grande écoute, et ayons le courage de sortir du ghetto de France 5 ou des chaînes spécialisées les excellents documentaires qu’on peut y trouver. On parie qu’on gagnerait en audience ?
Halte à la téléfunisation des programmes !