Hedy Lamarr, comme un toucher d’ondes sur la planète...
par lephénix
vendredi 17 mars 2017
En 1933, le film Extase, réalisé par Gustave Machaty (1901-1963), fait entrer une jeune actrice de dix-huit ans dans l’histoire du cinéma comme la « première femme nue à l’écran ». En vérité, cette année-là était particulièrement faste pour le naturisme : un Kulturfilm allemand, La marche vers le soleil, avait fait triompher la nudité en extérieur et en mouvement, tandis qu’en France, la « femme de lettres » Colette Andris arrache de haute lutte le droit de danser nue au music-hall avant de se produire dans cet appareil au cinéma…
Mais l’histoire du cinéma a retenu Extase, cette anodine production tchèquo-autrichienne, présentée en Amérique sous le titre My Extasy, et condamnée par le pape Pie XII... Elle a surtout révélé la perfection décomplexée d’une starlette folâtrant dans les bois en tenue d’Eve jusqu’à l’orgasme (le scénario s’inspire de L’Amant de Lady Chatterley) – et provoqué un tremblement de chair planétaire…
La bombe anatomique devient l’épouse de Fritz Mendel (1900-1977), le quatrième industriel d’armement au monde, fournisseur attitré de Mussolini – ses parents rêvaient pour elle d’une sécurité à toute épreuve… L’heureux époux n’aurait pas supporté que des millions d’admirateurs inconnus se délectent de la nudité de sa jeune épouse et aurait traqué toutes les copies disponibles du film pour faire disparaître le corps du délit …
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L’écran et au-delà…
Celle qui sera connue dans le monde entier en femme fatale naît Eva Maria Kiesler le 9 novembre 1914 dans une famille de banquiers juifs viennois convertis au catholicisme – sa mère, pianiste, est une beauté exceptionnelle... Elle suit les cours de l’école d’art dramatique de Max Reinhardt (1873-1943) à Berlin et débute au théâtre où elle joue notamment le rôle de l’impératrice Elisabeth d’Autriche, dite Sissi... A seize ans, elle décroche ses premiers rôles cinématographiques aux studios Sascha de Vienne, dans d’anodines comédies où il est beaucoup question d’argent : dans Geld auf der Strasse (« De l’argent sur la route », 1930) de Georg Jacoby (1882-1964), elle donne la réplique à Rosa Albrecht-Retty (1874-1980), la grand-mère de Romy Schneider… Wir brauchen kein Geld (« Nous n’avons pas besoin d’argent », Boese, 1931) conforte sa jeune notoriété.
A dix-sept ans, elle devient la vedette de Die Koffer des Herrn O.F. (« La Malle de M. O.F. », Granowski, 1931) qui lui vaut les honneurs du New York Times.
En 1937, Louis B. Mayer (rencontré à Londres après qu’elle eut quitté son premier mari) la prend sous contrat et lui fait adopter le nom de Lamarr, en souvenir d’une vamp du muet disparue une décennie plus tôt, Barbara La Marr (1896-1926).
L’année suivante, elle enchaîne, pendant une vingtaine d’années, des tournages de films de série B, depuis Casbah (Conway, 1938) jusqu’à The Female Animal (« Femmes devant le désir », Keller, 1957).
Si sa filmographie compte un seul chef d’œuvre, elle le doit à Cecil B. De Mille (1881-1959) qui lui confia le rôle inoubliable de Dalida dans Samson and Delilah (1949). Productrice indépendante, elle connaît le succès avec Le Démon de la chair (1946) mais échoue à garder les faveurs du grand public avec La Femme déshonorée (1947).
Elle a donné la réplique aux plus prestigieux interprètes masculins de son temps, dont Charles Boyer (1897-1978), Spencer Tracy (1900-1967), Clark Gable (1901-1960), Victor Mature (1913-1999) ou Jimmy Stewart (1908-1997) – elle incarna même Hélène de Troie dans un film de Marc Allégret (1900-1973).
Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle se souvient des plans de missiles entrevus chez son premier mari et dépose en juin 1941 avec son troisième époux, le musicien américain Georges Antheil (1900-1959), le brevet d’un système de guidage de fusée par fréquence radio qui marque l’histoire scientifique des télécommunications : ce principe de transmission, appelé la « technique Lamarr », est à l’origine de la téléphonie portable, de nos GPS – voire d’une certaine emprise siliconienne sur nos vies, née bien plus tard dans la Silicon Valley…
Jusqu’en sa quarantaine épanouie, cette femme de tête incarne l’éternel féminin, c’est-à-dire une certaine idée de l’infini mise à la portée de tous par l’éclat du périssable, et s’assure d’une débordante carrière matrimoniale (six mariages au compteur, sans compter ses liaisons innombrables de « croqueuse d’hommes » dont Charlie Chaplin et John Kennedy). Mais elle a échoué à devenir « la nouvelle Greta Garbo » (1905-1990).
Disparue des écrans en 1957, elle refait la Une… des faits divers pour vol à l’étalage : en 1960 et 1965, elle est surprise en train de dérober des produits de beauté… Elle profite de ce regain d’intérêt médiatique pour négocier la publication de ses Mémoires (Ecstacy and Me, 1966) – considérés comme les plus érotiques du genre depuis ceux de Casanova.
En 1990, elle fait une rechute en kleptomanie au supermarché Eckerd de Casselberry en Floride, après avoir dilapidé sa fortune en frasques et chirurgie esthétique pour tenter de conjurer un destin d’usure échu à tous...
Mais elle s’en désaccorde pas moins vers sa fin. Son corps sans vie est retrouvé le 19 janvier 2000 dans sa résidence à Altamonte Springs (Floride). Son étoile porte le numéro 6247 dans le Walk of Fame. Une urne contenant la moitié de ses cendres repose au cimetière central de Vienne. Son fils Anthony Loden en a dispersé l’autre moitié dans les bois autour de la capitale autrichienne - où elle n’avait jamais remis les pieds après avoir été happée par la machine à rêves hollywoodienne.
Qui, en ces temps de catastrophe majeure que nous vivons, se souvient de ce que l’algorithmisation de nos vies et de nos sociétés doit, bien avant l’emprise de la « prédation siliconienne », à la force de désorganisation épidermique d’une olympienne que bien d’autres puissances de vie bien affirmées ont fait oublier depuis ?