Informer, mettre au jour... mais quoi ?

par Emin Bernar
jeudi 16 novembre 2006

Selon l’étymologie rappelée par Marc Fumaroli, le journalisme consiste à mettre en lumière, à faire « surgir à chaque lever du soleil un peu davantage la vérité enfouie dans les souterrains des âges théologiques ». Mais quelle vérité ? On est souvent surpris par ce que les médias post-modernes oublient, et a contrario retiennent, de l’actualité du jour...

Samedi dernier ont eu lieu à Ankara les obsèques d’Etat de l’ancien premier ministre turc, Bulent Ecevit. Les médias français en ont peu parlé. Arte nous en a touché un mot le soir mais en commettant la bourde du siècle : celle de dire que les obsèques avaient eu lieu à Istanbul !

Pourtant plus de 100 000 citoyens turcs se sont pressés pour rendre un dernier hommage à cet homme d’Etat très populaire : entré dans la vie politique il y a cinquante ans, quatre fois premier ministre, il fut celui qui eut à décider de faire intervenir l’armée turque à Chypre pour protéger la minorité dans cette île, alors que des factieux grecs voulaient imposer l’union avec la Grèce ; il fut aussi le premier ministre qui vit l’arrestation d’Öcelan, le chef du PKK, parti séparatiste kurde responsable de la mort d’au moins 30 000 personnes. Cet homme politique, et poète, était un républicain (dans le parti fondé par Ataturk), un laïque et un socialiste. J’aurais aimé savoir si le Parti socialiste français et le Mouvement républicain et citoyen étaient représentés à ses obsèques : peine perdue, si j’ose dire...

En Europe (je souligne) toujours, un évènement tout aussi historique est passé sous quasi-silence : les discussions en cours entre catholiques et protestants pour trouver un accord politique en Ulster, sous le regard attentif des gouvernements irlandais et britannique. Pourtant, de cet accord peut résulter le terme d’affrontements tragiques qui durent depuis un bon siècle ; voilà un bel exemple pour démentir ceux qui voient le monde sous le prisme des conflits ethniques et religieux et de la guerre inexpiable des civilisations !

A contrario maintenant : je suis interpellé aujourd’hui par cet article, en haut à droite de la première page du quotidien de référence du soir : "Borat - Les tribulations loufoques d’un Kazakh aux Etats-Unis" suivi de la photo du "comédien britannique Sacha Baron Cohen , héros de Borat, lors d’une présentation du film en Australie, le 13 novembre". On apprend toujours en page une que cette satire (distribuée par la Fox de Rupert Murdoch ) "sort en France mercredi 15 novembre", qu’elle " raconte comment un journaliste kazakh et moustachu part en reportage aux Etats-Unis pour y rencontrer Pamela Anderson " et "livre une charge loufoque contre les Etats-Unis ". Sommes-nous encore dans le journalisme ? Ou déjà dans le promotionnel ?


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