Internet : 5e pouvoir ou 3e culture ?
par Voris : compte fermé
mardi 16 octobre 2007
« Pour Joël de Rosnay, le web sonne la révolte du proNétariat » mais « les formules de journalisme citoyen (comme Agoravox) tiennent en fait une place infime dans la production d’informations sur le web ». Qui tient ces propos ? Eric Fottorino ? Paul Amar ? Non : la revue Sciences humaines d’octobre 2007 qui consacre un dossier spécial à « La pensée internet ».
Il était à l’Est "une fois" !
On y apprend que c’est un Belge, Paul Otlet (1868-1944), qui a le premier rêvé internet. Une biographie, L’Homme qui voulait classer le monde, lui est consacrée par Françoise Levie. Cet homme a inventé la CDU (Classification décimale universelle) que les documentalistes connaissent bien. Il imagina une "cité mondiale" où chacun aurait accès au savoir à l’aide d’un écran et d’un téléphone. Eh bien, nous y sommes !
Mais nous n’avons pas réalisé le rêve de Francis Bacon d’une communauté intelligente sur le modèle de la communauté savante imaginée par cet auteur en 1627. Et donc, pour la revue Sciences humaines, il n’y aurait ni 5e pouvoir ni 3e culture. On y dresse le constat d’une révolution dans le monde de l’édition et de la documentation et éducatif, mais d’un flop de l’e-book, pressenti pourtant en 2000 lors de sa création à un avenir formidable. D’un bouleversement de la presse traditionnelle, mais sans apport spécifique supplémentaire d’origine médiatico-citoyenne.
Quelle plus-value le média citoyen apporte-t-il ?
"Les formules de journalisme citoyen (comme Agoravox) tiennent en fait une place infime dans la production d’informations sur le web", déclare donc la revue Sciences humaines. Qu’en penser ?
Si l’on prend le mot "information" au sens strict du journalisme traditionnel, le constat peut être assez partagé. En revanche, si on étend ce mot à une acception bien plus large, on est amené à reconnaître un rôle actif aux médias citoyens. Est-ce que les échanges et les débats que suscitent les parutions de papiers sur les blogs ne sont pas en eux-mêmes des informations des uns sur les autres ? Est-ce que l’on ne s’informe pas aussi sur soi-même par de telles confrontations ? Sur certains forums, on va même jusqu’à tester ses limites... Le point Godwin (*) est souvent évoqué. Enfin, la fonction première du média citoyen, comme son nom l’indique, n’est-elle pas de faire avancer la citoyenneté par une participation active, une reconnaissance de chacun ? Le lecteur de presse traditionnelle, qui ne peut réagir à l’article ni s’adresser à son auteur, n’est-il pas en situation inférieure à celle du lecteur qui peut interpeller l’auteur, le contredire ? N’y aurait-il aucune information dans les commentaires ? Bref ! On le voit, l’affirmation avancée est contestable.
Existe-il une pensée internet ?
La critique que porte la revue Sciences humaines sur Agoravox est à double tranchant. Quand je lis un article de Sciences humaines, j’ai aussi l’impression de ne pas apprendre grand-chose. C’est surtout un regard différent sur le savoir qui m’est apporté, celui du sociologue ou du psychologue. Quand nous lisons un article ou un commentaire sur un média citoyen, c’est aussi sous un autre regard que nous nous plaçons. Le seul fait de changer de point de vue change la perception de l’information et, par conséquent, modifie l’information elle-même, cette information subjective que nous avons sur l’événement. A ce titre, l’échange des points de vue est donc une richesse informative.
L’apport de la réflexion conduite par la revue est plus intéressant sur la pensée internet. Elle nous dit comment internet change notre façon de penser en modifiant notre rapport à l’espace et au temps, en ébranlant les conceptions de l’"avoir" et de l’"être". L’écriture a constitué une révolution en permettant aux savoirs de traverser le temps. L’imprimerie a renforcé ce phénomène ; elle a, de plus, étendu la diffusion dans un large espace. Désormais la téléprésence crée l’illusion de la proximité physique, défiant ainsi
l’espace et le temps. Elle modifie aussi l’"être" qui, de physique devient virtuel, tandis que l’"avoir" subit des altérations avec la dématérialisation.
Mais, en fin de compte, la réponse n’est pas vraiment donnée à la question de départ "L’avènement d’un tiers-état culturel annonce-t-il le début d’une révolution mentale ?" Peut-être tout simplement parce c’est en mettant un pied devant l’autre que l’on en vient à marcher, ou plus prosaïquement, comme l’a dit Audiard, "un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche", théorie qui comporte quelques limites néanmoins puisqu’il nous faut tout de même choisir la bonne direction, décider si l’on va seul ou accompagné, et ne pas oublier la carte ni les provisions... Quoi qu’il en soit, aucune thèse ou analyse ne vaut une bonne expérience. Alors, expérimentons encore et encore !
(* ) "Un point Godwin est un point donné au participant qui aura
permis de vérifier la loi de Godwin en venant mêler Hitler, le nazisme ou toute idéologie peu flatteuse à une discussion dont ce n’est pas le sujet." (Wikipedia)