Internet : bataille numérique de la guerre économique

par Thomas OLLIVIER
mardi 20 mars 2007

Depuis bientôt 40 ans, l’information installe progressivement son hégémonie dans l’entreprise comme chez le particulier. La publication du rapport « Understanding Knowledge Societies » des Nations unies, publié en juin 2005, était ainsi non seulement une énième manifestation de reconnaissance à l’égard de l’information et du savoir, mais également un nouvel écho de l’apprentissage de la gestion de l’information par la société. Plus récemment, d’autres rapports comme celui de Maurice Levy et Jean-Pierre Jouyet, « L’Economie de l’immatériel - La croissance de demain » , ou encore le second rapport du Député Bernard Carayon, « A armes égales », insistent une fois sur l’importance d’Internet comme outil de création, une fois sur l’intérêt des solutions open source, ect. Internet semble nous imposer une révolution culturelle...

Internet, bataille numérique de la guerre économique ?

« If we were to agree that the single most important agent of change is modern ICT, including the Internet, then the pattern of change would feature increased importance of well-managed information only. » (tiré du rapport “Understanding Knowledge Societies” des Nations unies, juin 2005)

Depuis bientôt 40 ans, l’information installe progressivement son hégémonie dans l’entreprise comme chez le particulier. La publication du rapport "Understanding Knowledge Societies’’ des Nations unies, publié en juin 2005, était ainsi non seulement une énième manifestation de reconnaissance à l’égard de l’information et du savoir, mais également un nouvel écho de l’apprentissage de la gestion de l’information par la société.

Plus récemment, d’autres rapports comme celui de Maurice Levy et Jean-Pierre Jouyet, « L’Economie de l’immatériel - La croissance de demain »[1], ou encore le second rapport du Député Bernard Carayon, « A armes égales »[2] insistent une fois sur l’importance d’Internet comme outil de création, une fois sur l’intérêt des solutions open source, ect. Internet semble nous imposer une révolution culturelle...

En effet, pendant qu’Henri Laborit prédisait le passage de l’homo faber au véritable homo sapiens[3], Arpanet[4] enclenchait son processus de développement pour devenir l’Internet que nous connaissons aujourd’hui. Dans la foulée, "Le macroscope’’ de Joël de Rosnay ou "La troisième vague’’ d’Alvin Toffler allaient continuer d’explorer les transformations de notre société, et la place grandissante qu’y prendrait l’information.

Conjuguée à la mondialisation de l’économie, à la fin de la guerre froide et au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, Internet prend son essor. De 1969 à aujourd’hui, plus d’un milliard d’internautes se rejoignent et inventent une nouvelle communauté. « la communauté internaute », « le citoyen du Net », « le cybernaute » : autant de désignations qui pourraient laisser penser à une "nouvelle civilisation’[5], caractérisée notamment par une croissance démographique record de 30 millions d’internautes supplémentaires en moyenne chaque année depuis 1969. Le partage, la diffusion, la collecte, mais aussi parfois la manipulation de l’information numérique feraient-elles parties des valeurs partagées par cette nouvelle forme de citoyenneté ?

Dès lors, quelle place accorder à Internet dans la société de l’information ? Quelles solutions Internet peut-il apporter à l’entreprise et quelles sont les conditions sine qua none pour qu’elle accepte d’introduire ce nouvel outil de travail dans son organisation ? Le gain de temps, l’optimisation des ressources, l’accès rapide à l’information sont autant d’avantages prônés par les partisans d’Internet, auxquels les plus sceptiques objectent perte de temps, usine à gaz, gadgets ou encore désinformation... Qu’en est-il vraiment ?

La libéralisation de l’information

‘Information gratuite’ ne signifie pas "information inutile". L’étendue vertigineuse d’Internet, les difficultés à contrôler, administrer et réguler son contenu relèvent de l’insurmontable. Comme alternative, Google, qui détient le record de pages indexées (environ 9 milliards), propose aux administrateurs de retirer une page ou un site de son index[6]. Grâce à Internet, l’information s’est libéralisée, dans le sens où elle est devenue plus que jamais accessible à tous, sous réserve de l’existence d’une connexion.

Si elle semble a priori bénéfique à l’internaute (particulier ou entreprise), la libéralisation de l’information n’en demeure pas moins pénalisante pour celui ou celle qui ne veut/peut pas obtenir la "citoyenneté Internet", c’est-à-dire suivre l’apprentissage et acquérir le comportement qui lui permettra d’en profiter et non plus de le subir. Car profiter d’Internet, ce peut être tout simplement obtenir gratuitement une information par ailleurs payante, sans pour autant entrer dans l’illégalité. Le rapport des Nations- unies, alors même qu’il aborde le sujet, est ainsi disponible pour 35 $[7] sur le site ‘publication’ des Nations unies (https://unp.un.org/) pendant qu’il est téléchargeable gratuitement[8] sur son site officiel (http://www.unpan.org/).

Information gratuite ne signifie pas non plus information inexploitable. La recherche d’informations scientifiques et techniques est directement concernée par l’arrivée d’Internet. Une étude sur les brevets qui aurait demandé 30 jours de travail il y 15 ans, donne aujourd’hui ses premiers enseignements au bout de quelques minutes. Le débit grandissant des connexions Internet n’est pas seul responsable de ce colossal gain de temps. Les sources, comme www.plutarque.com pour l’Europe ou www.uspto.gov pour les Etats-Unis, ont d’abord permis l’accessibilité à l’information. Ensuite, des outils comme Matheo Patent (http://www.matheo-software.com/) ont radicalement révolutionné les étapes de collecte, traitement et pré-analyse.

Actuellement, les appels d’offre profitent d’une dynamique semblable, d’autant plus profitable aux entreprises qu’elle est impulsée également par le code des marchés publics. Ainsi, au 1er janvier 2005, la mise en application de la loi sur la publication des marchés publics allait donner un avantage supplémentaire aux entreprises connectées dans la course à la compétitivité. Les entreprises du bâtiment et des travaux publics peuvent désormais choisir de recevoir automatiquement par e-mail les appels d’offre répondant à leur cible et à leur savoir-faire ou continuer leur détection manuelle. Là aussi, Internet permet du sur-mesure. Gratuites mais à certaines conditions jusqu’à payantes avec suivi personnalisé, les pratiques de veille sur Internet n’épargnent pas le dirigeant de décider des coûts et des moyens pour en optimiser son utilisation.

L’orientation de l’information

Internet est une source pratiquement inépuisable d’informations. A titre d’exemple, une recherche basique permet à une entreprise étrangère de réaliser à quelles difficultés elle peut être confrontée si elle décide de faire des affaires avec la France. En effet, sur www.doingbusiness.org[9], elle apprendra gratuitement que la France est recommandée en 44e position pour les pays avec lesquels elle peut envisager une relation d’affaires, juste derrière la Jamaïque (43e). Attention, ce classement n’est pas dû au hasard. Il est expliqué sur le site quels ont été les indicateurs retenus pour l’évaluation, et dans quelles conditions l’étude a été effectuée. Et si ces indications ne suffisaient pas à garantir son caractère professionnel et objectif, une lecture attentionnée du site rassurera l’entreprise sur son origine : la Banque mondiale.

Information orientée ? Désinformation ? Triste réalité ? La collecte d’information sur Internet s’accompagne d’une perpétuelle recherche d’objectivité. Pour ceux dont la nomination en mars 2005 de Paul Wolfowitz à la tête de la Banque mondiale aura été une bataille gagné par les Etats-Unis dans la guerre économique et la défense de leurs intérêts, cette information aura alors un goût très amer et la méfiance vis-à-vis de cette information sera leur premier réflexe. Pour les autres qui y verront une illustration du malaise économique français à coût de statistiques, alors cette information n’aura rien de surprenant. Entre ces deux extrêmes, la mesure de la pertinence de l’information est ainsi très variable. Croiser les sources sur une recherche devient donc une règle d’or dans l’utilisation d’Internet.

S’interroger sur la pertinence de l’information ? C’est le travail qu’a réalisé le programme de recherches sur « l’Attractivité économique du droit » (AED) visant à relativiser les résultats publiés par Doing Business en pointant du doigt les limites des méthodes utilisées[10]. Le rapport intitulé « Des indicateurs pour mesurer le droit ? Les limites méthodologiques des rapports Doing Business »

Internet ou la veille à "budget 0"

Chaque dirigeant d’entreprise admet l’utilité de prévoir, anticiper ou surveiller son environnement et les acteurs qui le composent. Mais tous ne sont pas convaincus des apports d’une démarche d’intelligence économique pour y parvenir, ni même des avantages d’une bonne utilisation d’Internet. Pour des raisons de retour sur investissement, le nouvel outil de travail qu’est devenu Internet est laissé de côté. Pourtant, se donner la chance de comprendre Internet, c’est donner à l’entreprise de nouveaux moyens de travail pour un coût très modéré.

La TPE/PME qui souhaite surveiller l’entreprise locomotive de son secteur ou un concurrent coté en bourse pourra par exemple ouvrir gratuitement un plan d’épargne actions virtuel sur Internet et ajouter dans son portefeuille les codes correspondants aux acteurs à surveiller. Elle recevra ainsi gratuitement tous les communiqués de presse relatifs aux entreprises surveillées, puisque qu’il leur est imposé une communication draconienne. Ainsi, l’entreprise sera informée directement du retrait d’un produit du marché, de la nomination d’un nouveau directeur d’usine, ou encore du rapprochement avec un partenaire potentiel, sans que cela lui demande le moindre investissement financier.

Une autre technique de veille gratuite, très avantageuse pour l’entreprise qui pratique un management par projet, est la veille sur l’actualité. Google.fr et Google.com suivent respectivement 500 et 4 500 sites d’actualité en ligne, dont certains portails sectoriels et sites de presse régionale. Le pilote d’un projet sur l’environnement pourra ainsi organiser une veille à partir de l’actualité et demander à chaque membre de son équipe de se créer une revue de presse personnalisée sur le traitement de l’air pour l’un, le recyclage pour l’autre, et ainsi de suite. Une fois le projet terminé, chacun pourra alors annuler les alertes qu’il se sera crées. Là encore l’entreprise entre dans une démarche de veille pour un coût inexistant.

Pour une information plus ciblée, l’entreprise doit prendre le soin d’identifier les sources, de flairer la bonne astuce. Pour l’entreprise de l’industrie pharmaceutique, la bonne astuce serait par exemple de surveiller automatiquement le calendrier du comité consultatif de la Food and Drug Administration grâce un logiciel gratuit comme « vigilus smart »[11] ou grâce à un service d’alerte gratuit comme « Watchthatpage »[12]. L’entreprise sera par exemple informée que le comité se réunira le 22 février 2007 pour discuter de la sûreté et de l’efficacité de l’anti-inflammatoire Cormet 2000 du groupe Corin pour le traitement de l’arthrite dégénérative. Si elle le souhaite, elle pourra même traduire l’information de l’anglais vers le français en indiquant l’url[13] qui contient l’information dans l’outil de traduction « Babelfish »[14] du moteur Altavista. Malgré une traduction mot à mot, l’entreprise bénéficiera d’une information lisible en français.

Internet n’est pas la panacée. Cependant, pour chaque problématique rencontrée, peut-être existe-t-il une source d’information facilement accessible et facilement exploitable qui conduira à la réussite d’un projet, et éventuellement, à soutenir davantage le développement de l’entreprise.

L’origine géographique de l’information numérique

L’information qui est disponible sur Internet est un reflet du monde des affaires réel. Ainsi, l’information y est surtout disponible en anglais. Le nombre d’information en chinois croît également considérablement. L’une des forces d’Internet réside dans son pouvoir de faire tomber les barrières linguistiques, autant pour l’identification des sources que pour la collecte des informations.

Ainsi, la PME aware de l’industrie automobile peut utiliser le moteur « babelplex »[15] en saisissant l’expression « hydrogen storage » pour cibler sa recherche sur le stockage d’hydrogène, puis demander à afficher les résultas anglophones sur une partie de l’écran, et les résultats en chinois sur l’autre partie[16]. Elle identifiera ainsi des sites correspondant à sa requête dans une langue a priori difficilement accessible. Il lui suffira ensuite de réaliser un copier-coller dans un outil de traduction, pour obtenir l’information en anglais. Cette technique permettra ainsi à l’entreprise d’élargir une recherche en s’affranchissant des barrières linguistiques tout en réduisant le coût de l’opération au simple temps passé. Si pour le moment ces pratiques relèvent des "trucs et astuces", nul doute qu’elles continueront de se professionnaliser dans les prochaines années.

La gestion de l’information comme facteur clé de succès ?

L’information n’est pas uniquement numérique. En aucun cas l’intelligence économique se résume à une maîtrise d’Internet, quand bien même ce nouvel outil s’impose de lui-même dans les démarches de veille, de lobbying ou de protection du patrimoine informationnel de l’entreprise. D’ailleurs, l’utilisation d’Internet prend sa pleine mesure lorsqu’elle s’inscrit dans une démarche d’intelligence économique globale. Dans sa finalité d’optimiser la gestion de l’information, de sa collecte à son exploitation, l’intelligence économique recourt donc à différentes techniques et différents outils. C’est dans ce cadre qu’Internet trouve sa place comme outil de travail pour l’entreprise.

Mais les vérités d’aujourd’hui ne sont pas celles de demain. Pour cette raison, l’entreprise doit d’abord cultiver curiosité et opportunisme avant de chercher à maîtriser techniquement Internet. C’est une condition sine qua none pour suivre le rythme d’Internet dans la course aux nouvelles solutions de collecte, traitement et diffusion de l’information.

L’environnement de l’entreprise se constitue de toujours plus d’information. Les politiques financières, les réglementations, les jeux d’influence sont autant de paramètres qui compliquent la prise de décision. C’est pourquoi, la gestion de l’information est devenue un facteur clé de succès, un moyen d’être plus compétitif que le concurrent.

En conséquence, l’entreprise vit dans un contexte de guerre économique. C’est pourquoi, si Internet devait être la bataille numérique de la guerre économique, toute entreprise refusant son utilisation se pénaliserait elle-même et amoindrirait ses chances de développement. Dès lors, quelles sont les raisons pour lesquelles ces entreprises restent dans leur bulle, alors que depuis longtemps déjà Internet a quitté la sienne pour devenir une nouvelle arme de compétitivité ?

A suivre : les dynamiques humaines d’Internet

Thomas OLLIVIER



[1] Rapport de la commission sur l’économie de l’immatériel

[2] Rapport au Premier Ministre, dispobile sur http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000728/0000.pdf

[3] « [...] son travail sera de plus en plus humain, de plus en plus néocéphalisé, il deviendra de moins en moins homo faber, ce que les machines feront à sa place, et de plus en plus homo sapiens. », Henri Laborit, Biologie et structure, 1968.

[4] Premier réseau crée en 1969 dans le cadre d’un projet américain de Défense.

[5] Définition du petit Robert : « l’ensemble des caractères communs aux vastes sociétés les plus évoluées et des acquisitions des sociétés humaines »

[6] http://www.google.fr/webmasters/remove.html

[7] UN

[8] http://unpan1.un.org/intradoc/groups/public/documents/UN/UNPAN020643.pdf

[9] Classement sur le lien suivant http://www.doingbusiness.org/EconomyRankings/

[10] Rapport intitulé « Des indicateurs pour mesurer le droit ? Les limites méthodologiques des rapports Doing Business »

[11] http://www.01net.com/outils/telecharger/windows/Internet/internet_utlitaire/fiches/30304.html

[12] http://www.watchthatpage.com/

[13] http://www.fda.gov/oc/advisory/accalendar/2007/default.htm

[14] http://babelfish.altavista.com/

[15] www.babelplex.com

[16] Résultat de la requête : http://www.babelplex.com/google?edition=us&q=%22hydrogen+storage%22&langpair=en_zh


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