Internet et diffamation

par Chem ASSAYAG
jeudi 23 novembre 2006

Un jugement de la Cour suprême de Californie préserve la liberté d’expression sur Internet.

Depuis la naissance d’Internet, la question de la législation s’y appliquant fait rage. Un des points fréquemment débattus est celui de la responsabilité des FAI quant aux contenus qu’ils distribuent et/ou transportent, notamment quand ceux-ci ont un caractère illégal (racisme, antisémitisme, pédophilie...) ou illicite (problématique du téléchargement de la musique, par exemple). La généralisation du haut débit et maintenant l’arrivée des outils Web 2.0 ayant accentué les potentialités de contentieux, ces sujets deviennent de plus en plus épineux. Un autre thème souvent évoqué est celui de la diffamation. Ici un jugement de la Cour suprême de Californie prononcé le lundi 20 novembre apporte un éclairage intéressant.

L’affaire concerne une plainte déposée à l’origine par deux médecins, Stephen J. Barrett et Timothy Pedolevoy, qui s’estimaient diffamés sur le blog de Ilena Rosenthal, l’animatrice d’un site Web sur la santé des femmes. En effet, Rosenthal avait relayé des e-mails et des informations mettant en cause l’honnêteté et la compétence des médecins en question ; ils avaient donc attaqué.

Les médecins avaient gagné leur procès en appel, puis l’affaire avait été portée devant la Cour suprême de l’Etat de Californie. Or celle-ci vient de casser le jugement intervenu en appel, c’est-à-dire qu’elle a considéré qu’il n’y avait pas diffamation. La base juridique retenue pour le jugement est l’interprétation du paragraphe 230 du Communication Decency Act de 1996. Ce paragraphe indique « qu’aucun fournisseur ou utilisateur d’un service d’ordinateur interactif (comprendre Internet) ne peut être traité comme l’éditeur ou l’auteur d’une information émise par un autre fournisseur de contenu », en conséquence aucune action judiciaire ne peut être engagée à son encontre. La Cour suprême conclut en indiquant que le paragraphe 230 interdit la mise en cause des « distributeurs » d’informations sur Internet (« ... section 230 prohibits « distributor » liability for Internet publications »), ainsi que celle des utilisateurs, même s’ils sont actifs dans la diffusion des informations en question.

Concrètement cela veut dire que les internautes qui relayent une information diffamatoire ne pourront pas être attaqués sur cette base. Les personnes qui se considèrent diffamées ne peuvent se retourner que contre la source originale de la diffamation. Néanmoins la juridiction suprême californienne reconnaît que cette interprétation du Decency Act pose des problèmes, et invite le législateur fédéral à réformer la loi.

Ce jugement est important, car il ne va pas freiner l’essor de la diffusion d’informations sur Internet. En effet, pour un site équivalent à AgoraVox qui se développerait aux Etats-Unis, une interprétation différente de la Cour suprême aurait suspendu en permanence une épée de Damoclès au-dessus des responsables. Il en va de même pour tous les blogueurs ou créateurs de sites. D’ailleurs, l’Electronic Frontier Foundation, un organisme important qui défend la liberté dans le monde numérique, se félicite de cette conclusion juridique, qui préserve la liberté d’expression des différents acteurs du Web, des individus aux FAI, qui reproduisent du contenu venant d’autres sources. Néanmoins, cela ne dispense en rien de vérifier la crédibilité et l’honnêteté de ces dernières !


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