Internet et politique : quelles perspectives d’ici 2007 ?

par Yves-Marie Cann
jeudi 13 juillet 2006

Favorisé par un perfectionnement technologique croissant et une démocratisation de l’accès des Français au réseau, l’Internet comme outil de communication politique d’une part, et comme instrument d’expression et de participation au débat public d’autre part, connaît un essor certain, notamment relayé par les médias traditionnels et l’appropriation de la toile comme nouvel objet de recherche universitaire. Dans ce contexte, qu’attendre du Web français, d’ici à la prochaine élection présidentielle ? Première analyse.

La multiplication des sites politiques et des forums de discussions, puis l’apparition et le développement rapide des blogs, ou encore de récentes initiatives de marketing politique en ligne secouent des pratiques politiques françaises jusqu’ici figées par un cadre juridique particulièrement contraignant. Internet permet en effet aux formations politiques et à leurs élus de renouveler leurs modes de communication à destination des citoyens et apparaît aujourd’hui comme un dispositif important en raison de ses potentialités à structurer non seulement la stratégie électorale des candidats mais aussi et surtout le rapport des citoyens au politique et aux élections.

Peut-on pour autant imaginer un réel bouleversement ? Les études menées jusqu’à présent sur l’Internet politique concernent essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, l’outil et ses fonctionnalités, ainsi que la façon dont les organisations politiques et leurs élus se l’approprient et le mettent en œuvre, de manière pour le moins inégale. A l’inverse, l’état des connaissances sur la population internaute naviguant sur des sites politiques, qu’elle soit partisane ou non, s’avère particulièrement pauvre, voire inexistant.

Or les quelques données disponibles invitent à relativiser le discours largement répandu d’une « France en ligne »(*). Ainsi, en dépit d’une démocratisation certaine de l’accès des Français à Internet, cette tendance demeure très relative.

Certes, au cours des cinq dernières années, la proportion d’internautes a plus que doublé en France, pour s’élever aujourd’hui à près de 28 millions d’individus (Source : Médiamétrie). Pour autant, ce doublement n’induit pas nécessairement une réduction significative des écarts structurels observés de façon récurrente entre populations française et internaute. Ainsi, à l’exception d’un net rééquilibrage de la répartition hommes-femmes, force est de constater que d’autres traits caractéristiques tendent à s’effacer beaucoup plus difficilement. A titre d’exemple, les catégories sociales supérieures représentaient 48% des internautes en 1999... et encore 44% fin 2004, alors qu’elles ne « pèsent » que 23% au sein de la société française. Quant aux internautes les plus actifs sur la toile, ils présentent un profil encore plus atypique, quasiment semblable à celui de l’ensemble des internautes français de 1999 : on y recense 62% d’hommes et 29% de Franciliens ! (Sources : Ipsos Média).

Partant de ce constant, il convient de relativiser les discours faisant déjà d’Internet l’outil par excellence des futures campagnes électorales. Certes, la proportion de citoyens-électeurs l’utilisant, notamment pour s’informer lors des élections, s’est considérablement accrue et connaîtra probablement un nouvel essor lors des prochains rendez-vous électoraux. Néanmoins, deux écueils majeurs s’opposent à la “toute-puissance” du Web annoncée par certains : un intérêt pour la politique très inégalement partagé au sein de la population (**), auquel il convient d’ajouter une maîtrise tout aussi inégale des nouveaux outils technologiques en général, et d’Internet en particulier. Il résultera probablement de la combinaison de ces deux « fractures » la présence en 2007 sur la toile politique d’internautes différents à bien des égards du corps électoral dans son ensemble. (***)

Bien entendu, il ne s’agit pas nier ici les potentialités offertes par ce nouveau média en matière politique, au premier rang desquelles sa capacité à fédérer autour d’une personnalité ou d’une formation politiques des publics jusqu’à présent rétifs à des formes d’engagement plus traditionnelles. On comprend alors le succès remporté par les campagnes d’adhésion en ligne initiées par l’UMP puis par le Parti socialiste.

De même, en cette période pré-électorale, s’organise une mobilisation en ligne en faveur de plusieurs prétendants déclarés ou supposés. Ces derniers, en créant leur blog ou en développant un site, offrent à leurs soutiens un point de ralliement inédit. Plusieurs personnalités l’ont bien compris, et l’on perçoit aisément, lorsqu’elle n’est pas explicitement revendiquée, leur volonté de se constituer de véritables comités de soutien en ligne. Sur ce point, la lutte que se livrent les prétendants socialistes constitue un objet d’étude très intéressant. Contrairement à Nicolas Sarkozy pour l’UMP, aucun d’entre eux n’a la maîtrise d’un appareil politique leur permettant de mobiliser élus, militants et sympathisants. D’où la nécessité de susciter une dynamique en dehors du parti, en mobilisant des soutiens, et d’engendrer une véritable dynamique sur leur nom et/ou leur projet. Les prétendants socialistes à la candidature l’ont bien compris. En découle leur présence sur la toile.

Toutefois, il n’est pas acquis que la fabrique de ce que l’on pourrait appeler une « popularité en ligne », et que l’on mesurerait notamment par le nombre de soutiens engrangés, les blogs dédiés à une personne ou le bruit médiatique sur la toile, ne se traduise à terme par une « popularité électorale » déterminante au moment de voter. C’est là tout l’enjeu des mois à venir !

(*) Cf. mon étude sur les blogs politiques présentée à l’occasion de Politique 2.0 en janvier 2006.

(**) Selon les données de la première vague d’enquête du baromètre politique français (2006-2007) CEVIPOF-Ministère de l’Intérieur réalisé par l’Ifop, seule une minorité d’électeurs (44%) se déclare “assez” (32%) ou “beaucoup” (12%) intéressée par la politique.

(***) D’ailleurs, toujours selon baromètre politique français, seuls 12% de l’électorat accorde prioritairement sa confiance à Internet pour s’informer en matière politique, loin derrière la télévision (65%), la presse écrite nationale (39%), la radio (38%) et la presse écrite régionale (34%).


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