Jeu de la mort : les organisateurs sont-ils eux aussi des tortionnaires ?

par emmanuelR
samedi 20 mars 2010

Tania Young, en acceptant de jouer la présentatrice impitoyable, certes dans un faux jeu mais infligeant néanmoins des vraies souffrances à ses candidats, ne s’est-elle pas transformée en tortionnaire sous l’autorité de la télévision ?

Remarquons que lorsque la présentatrice avait devant elle des candidats en extrême détresse, alors qu’elle savait parfaitement que leurs souffrances étaient bien réelles, elle restait néanmoins imperturbable et cessait de les torturer seulement après en avoir reçu l’ordre dans son oreillette.

 

Elle était donc elle aussi en position « agentique », pour reprendre le terme du professeur Milgram, tout comme ses propres candidats à qui elle infligeait une souffrance réelle et croissante à mesure qu’elle leur demandait de poursuivre l’expérience qu’ils souhaitaient pourtant arrêter.

 

 Il est intéressant de noter qu’elle n’en avait certainement pas une pleine conscience, elle même reconnaissant l’autorité légitime de la télévision, et donc la légitimité des ordres données et du but poursuivi.

 

Lui a t’on dit après coup qu’elle avait été « l’agent exécutif » d’un système ayant provoqué de la souffrance au même titre que les candidats placés sous son autorité ?

 

Rien n’est moins sûr. Gageons plutôt qu’elle a été rassurée : « il ne s’agit que d’une expérience scientifique. »

 Aucun des acteurs ayant participé à cette supercherie infligeant néanmoins des vraies souffrances aux candidats, n’échappent à cette réalité.

 

Il me semble que cela est une vrai question, si ce n’est LA question que pose ce documentaire, et nous ne pouvions sans doute pas compter sur Christophe Hondelatte pour la poser, lui même étant un ‘agent exécutif’ placé en position d’obéissance à l’autorité de la télévision.

 

Le documentaire de Christophe Nick est donc surtout intéressant par ce qu’il démontre en creux, il met en abîme une série d’employés de la télévisions qu’on n’a pas vu parce qu’ils étaient derrière les caméras, (Exceptés certains d’entre eux : Les acteurs, Tania Young et Christophe Hondelatte), et qui ont tous accepté d’apporter leur contribution à ce jeu où l’on infligeait pourtant des souffrances réelles à des candidats, souffrance qui vont très certainement durer dans le temps.

 

Toutes les personnes qui se sont impliquées dans la fabrication du « jeu de la mort » se sont ainsi rendues complices, à leurs niveaux, de ces actes de torture commis en réunion, et contrairement à leurs victimes, ils n’étaient pas isolés, ni même manipulés.

 

L’expérience est donc d’autant plus intéressante en ce qui les concerne.

 

Ces observations mettent également en lumière la profonde hypocrisie du message de ce documentaire et les conclusion abusives qui en sont tirées.

En effet, on stigmatise des candidats vulnérables qui ont été manipulés par un groupe puissamment organisé (France 2), mais on ne parle pas de ces « autres candidats » de l’establishment audiovisuel qui ont eux aussi accepter d’ infliger de la souffrance (réelle cette fois ci) et se sont donc également comportés en tortionnaires.

 

Les organisateurs du documentaire se sont sans doute placés plus ou moins consciemment dans la situation de tortionnaires légitimes. Des tortionnaires légitimes de la télévision publique poursuivant le but légitime de déniaiser les masses. (Comme le scientifique Milgram acceptaient de faire souffrir ses cobayes pour les bienfaits de ses découvertes scientifiques)

 

Regardons les choses de plus près  :

 

France 2 se choisit un bouc émissaire télégénique : « la télé réalité » et poursuit son but légitime de chaîne publique (puisque placé sous l’autorité de la science) : faire de l’audimat. 

 

Et c’est bien là le problème, en visant des « boucs émissaires » choisis comme la télé réalité, et le communisme, les auteurs du documentaire font preuve d’une profonde malhonnêteté intellectuelle.

 

Que dire en effet du capitalisme et de toute entreprise ? 

 

N’est-ce pas dans cette logique compétitive que France 2 a réalisé ce documentaire et organisé la souffrance d’autrui ?

 

L’entreprise capitaliste n’est-elle pas l’ organisation parfaite d’une chaîne de soumission à l’autorité souvent malfaisante ?

 

La télévision n’est-elle pas une entreprise comme une autre avec ses agents exécutifs comme le démontre parfaitement l’envers du décors de ce documentaire ?

 

Pourquoi dans ce cas avoir choisir cette image du chinois résistant à un tank sur la place Tienanmen pour illustrer la résistance à l’autorité plutôt que les suicides de chez France Télécom ?

 

Parce que le communisme est dans un autre pays, comme la télé réalité est sur d’autres chaînes ?

 

Est-il plus difficile de se soustraire à l’autorité d’un régime totalitaire ou de refuser un bonus quand on travaille dans une banque ?

 

Toutes ces questions méritent d’être posées et pourtant le débat est soigneusement circonscrit à la télé réalité.

 

Le seule mérite de ce documentaire est donc d’avoir ouvert la boîte de pandore. France 2 tel un savant fou a été dépassé par son expérience télévisuelle.

 

En réalité, la télévision n’est qu’un autorité parmi d’autres à laquelle nous sommes plus ou moins soumis, et la télé réalité comme omet soigneusement de la dire France 2 ne fait que reconstituer artificiellement ce qui se passe dans notre société. En l’occurrence elle met toujours en scène des compétitions ou « seul le succès est juge de ce qui est bon ou mauvais » comme disait Hitler. (Phrase que l’on retrouve en introduction du très instructif ouvrage de Philippe Bartherotte, La tentation d’une île, derrière les caméras de la télé réalité. A noter que l’histoire développé dans ce livre est intéressante car l’auteur à lui même été un agent exécutif au service de la télé réalité avant d’entrer en résistance)

 

Or, « il faut savoir perdre » comme l’a dit très humainement un des candidats du jeu de la mort qui à ainsi expliqué son refus d’aller au bout.

 

Tout est là. Le jeu de la mort était une compétition et beaucoup sont allés au bout parce qu’ils sont conditionnés à gagner depuis qu’ils sont à la maternelle. (Tout comme Tania Young à accepté de faire souffrir des candidats pour faire avancer sa carrière à la télévision)

 

France 2 aurait donc mieux fait de nous faire réfléchir sur le thème de la soumission à l’autorité sous toutes ses formes, dans la cadre de l’organisation capitaliste de notre société, au lieu de réduire son discours à la télévision et à la télé réalité en particulier.

 

France 2 aurait alors fait un véritable documentaire digne d’un Service Public et non pas un docu-réalité sensationnel aux conclusions aussi biaisées et malhonnêtes que celles des émissions de télé réalité que la chaîne prétend dénoncer.

 

Aussi, il est évident que ce qui est intéressant n’est pas tant ce que ce documentaire nous offre à voir, que la réflexion sur ce qu’il ne montre pas et notre soumission à l’autorité des images que nous voyons à la télévision.


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