Jogging et « violence symbolique »

par Freddy Roy
lundi 4 juin 2007

Incontestablement, il existe aujourd’hui des fascinations et des complaisances médiatiques. Chaque soir, le journal télévisé semble épris d’un profond désir de jogger. Il n’est pas le seul. Le Point réalise ainsi sa douzième couverture sur son héros. La foulée présidentielle représente aujourd’hui l’essentiel de l’information. Ou plutôt de la communication politique.

Des journalistes sont engagés au sein des cabinets ministériels et de l’Elysée. Un proche du sémillant président Sarkozy bénéficie d’un « transfert » à la direction de TF1. Face à cette situation, l’association Reporters sans frontières appelle à la « vigilance ». Hollande et Bayrou veulent même légiférer sur le sujet.

Ces « découvertes » feraient oublier que des liens forts et continus existent entre la classe politique, le milieu journalistique et le monde économique.

Hier, le directeur de Match était limogé par Arnaud Lagardère pour avoir laisser passer à la une la photo de Cécilia avec Richard Attias. Le magazine télévisé de France 2, Envoyé Spécial, avait lui, quelques années auparavant consacré un reportage à la gloire de l’épouse de Sarkozy, alors ministre de Raffarin. De nombreux journalistes entraînent, contre rémunération, des politiques qu’ils se font un plaisir d’interviewer le jour « J ». Récemment encore, l’épouse du directeur de l’information de TF1 était la conseillère image de celle du président Chirac.

Le 20 mai, Christine Ockrent, recevant François Bayrou dans France Europe Express, déploie une belle énergie à tenter de lui faire reconnaître les mérites de l’ouverture. N’est-elle pas la compagne du bénéficiaire le plus médiatique de cette habile opération politique ? N’éprouve-t-elle pas le besoin de justifier cette démarche de pseudo-consensus ? Pourquoi ne rappelle-t-elle point que Sarkozy avait construit sa campagne sur un appel du pied à l’endroit des électeurs frontistes ?

Plus généralement, pourquoi les JT joggent-ils quotidiennement dans la foulée présidentielle ? La réponse est double.

Tout d’abord, le format télé impose aujourd’hui des images neuves et de préférence en mouvement. Leur pouvoir de séduction leur permet de statufier et aussi marginaliser tout ce qui ne vient pas d’elles. Chirac et Mitterrand marchaient. Sarkozy court. Le mouvement a valeur d’action.

Ainsi, c’est la même mécanique naturelle qui pousse le JT à jogger, et à quasiment ignorer les premiers couacs du nouveau quinquennat. Une réforme des universités est-elle annoncée pour le mois de juillet ? Le JT l’ignore superbement. Idem pour les contestations sur la franchise médicale. Les Français semblent s’en moquer. Comme les journalistes.

L’autre raison est plus compliquée. Théorisée jadis par feu le sociologue Bourdieu sous le nom de violence symbolique, cet échange inégalitaire entre les pouvoirs et les Français via les médias s’exerce avec la complicité de ces derniers, pourtant pas totalement dupes. Ni même définitivement conquis. Tout juste séduits. Si l’idée d’une manipulation ne leur est point étrangère, ils se refusent à analyser, à croiser, à creuser. A quelques jours des législatives, il semble acquis qu’entre l’émotion et la raison, leur choix paraît fait.


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