Journalisme et médiacratie : un nouveau clergé

par Karmatotal
lundi 5 avril 2010

 Ce qu’il est désormais convenu d’appeler "l’affaire Mélenchon" met en évidence le fonctionnement ecclésial des médias. Le rapprochement entre l’église catholique et son clergé (au moins au moyen-âge) et la sphère journalistique est à cet égard plein d’enseignement.

Le clergé, souvent inculte et très mal renseigné sur la Bible, du moins le bas clergé, était conçu comme une médiation entre le peuple et le Livre. L’église catholique voulait à tout prix avoir le monopole de la diffusion de l’information, la doctrine, pour pouvoir contrôler la foi donc la croyance. Les gueux, les serfs étaient soumis à un contrôle étroit que Foucault aurait qualifié de "biopouvoir". Pour asseoir cette domination sur les esprits, l’église règlementait fermement la diffusion de la doctrine, excommuniait, imposait une doctrine unique (toute ressemblance avec la pensée du même métal ne serait pas fortuite), contrôlait les moyens de diffusion (scriptoriums dans les monastères, lieux fermés, interdits aux laïcs), et contribuait à maintenir les masses dans l’illettrisme.

C’est effectivement à la fois le comportement et l’objectif des principaux médias aujourd’hui. Il est remarquable de constater que dans "l’affaire Mélenchon", aucun journaliste n’a pris le temps de se demander si, par hasard, le fonctionnement moderne des médias n’était pas exempt de toute critique. Absolument aucune auto-critique, aucune trace de recul sur les pratiques journalistiques, cela rappelle, évidemment le postulat d’infaillibilité du Pape lorsqu’il s’exprime ex-cathedra (c’est-à-dire en tant que docteur de la foi, en situation d’enseignement) défini solennellement en 1870.

Le journaliste est aujourd’hui frappé du même syndrome que le Pape : il est infaillible par nature quand il s’exprime "ex-cathedra", c’est-à-dire dans un journal ou un magazine. Il faut d’ailleurs rappeler que cette infaillibilité du Pape est liée à l’infaillibilité de l’église tout comme celle du journaliste est liée à celle du système médiatique homologue contemporain de l’église apostolique romaine.

 Beaucoup de termes passés dans le langage courant accréditent cette thèse : ne parle-t-on pas de la "messe du 20 heures " ? Plus encore, quelle est l’émission qui, même sur une chaîne aussi vendue aux annonceurs que TF1 , ne subit aucune coupure publicitaire ? Le JT. Cet espace reste sacré car il est l’endroit par où passe la doxa, il est le moment où se rassemblent les fidèles, il est le lieu de l’élaboration de la croyance. Quand, au moyen-âge et plus tard, l’église s’appuie sur une société autoritaire et violente, sur un "biopouvoir" pour dominer les masses, la société contemporaine, elle, s’appuie sur les médias et le marketing pour leur enlever le désir de s’informer réellement. Les "sociétés de contrôle", expression inventée par Deleuze et Guattari, sont nées en même temps que le journalisme moderne intimement lié au marketing qui le finance.

Quand aux XII° et XIII° siècle le commerce des indulgences fait florès, celui des encarts publicitaires aux XX° et XXI° siècles fait de même. Ces indulgences qui permettaient de se faire pardonner tous les péchés. Quelle différence entre le "vendeur d’espace d’un magazine" et le dominicain Johann Tetzel, qui fut chargé en 1516-1517 de vendre les indulgences au nom de l’archevêque de Mayence, et qui était intéressé à la vente par une commission de 50% promise par la Curie ? Décidément furieusement moderne ce Tetzel qui inventa selon certains historiens le slogan (publicitaire dirions-nous) : « aussitôt que l’argent tinte dans la caisse, l’âme s’envole du Purgatoire ». Il faudrait peut-être traduire de nos jours par : « Aussitôt que l’annonceur paraît, le scrupule disparaît ». Nul doute qu’aujourd’hui Tetzel enseignerait dans la même école de journalisme que celle dans laquelle l’étudiant qui voulait faire un scoop avec M. Mélenchon a appris les ficelles de sa triste besogne.

 Mais le système médiatique est en crise nous dit-on. Evidemment, il souffre de discrédit (de credere, croire). Or un système fondé sur la diffusion de la doxa, dont l’objectif est de diffuser de la croyance ne peut pas survivre à un discrédit. Nous pouvons peut-être même imaginer ce qu’il adviendra de ce système : à peu près la même chose que ce qu’il est advenu de l’église catholique des indulgences. A la fin du XV° siècle un moine augustin, germanique, décida que ce système était trop corrompu et qu’il fallait, entre autres choses, permettre au public de lire lui-même la Bible et non plus de l’abreuver de commentaires. L’église et son clergé n’étaient plus nécessaires. Cette circulation de l’information était rendue possible par les progrès de l’imprimerie qui joua un rôle comparable à celui d’internet aujourd’hui. Cet homme s’appelait Martin Luther, il réunissait des gens qui protestaient contre l’ordre établi, et que cet ordre établi appela plus tard les "protestants". Il bâtit la Réforme avec un disciple qui devint à ses côtés un des promoteurs de cette révolution.
 
 Et devinez comment s’appelait ce protestant de la première heure ? Je vous le donne en mille : Melanchthon.

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