Hier soir, j’ai regardé le journal télévisé de France 2. Oui, je sais, ma vie est passionnante. Il était un peu plus de vingt heures et David Pujadas commentait la marche du monde. Tout cela ronronnait comme le chat près du radiateur. Hiver oblige.
Et puis arrive un sujet sur Rachida Dati dont j’apprends qu’elle a accouché sous césarienne alors que manifestement il y en a trop en France et souvent pour des raisons de confort (ce qui aurait pu faire un bon sujet pour le JT).
Arrive un autre sujet sur les vœux du président Sarkozy aux magistrats suivi d’un vrai dossier de fonds sur la suppression du juge d’instruction, réforme énormément souhaitée par l’omniprésident. Et là, surprise, ce que je croyais être un reportage équilibré me donne un sale goût dans la bouche.
Voilà le déroulé (et la retranscription à la virgule près) de la séquence du journal de 20 heures de France 2 (7 janvier 2009) :
David Pujadas lance le sujet : « …L’omniprésident, puisque l’expression est maintenant consacrée, a ouvert comme prévu un nouveau front quelques heures plus tard. A l’occasion de la rentrée de la cour de cassation il a confirmé qu’il souhaitait mettre fin à la fonction séculaire de juge d’instruction »
Reportage : Une justice du 21ème siècle, plus proche du justiciable, plus respectueuse du droit des personnes, c’est la volonté de Nicolas Sarkozy. Résultat : adieu le juge d’instruction qui incarne trop la justice inquisitoire.
Nicolas Sarkozy : « Un juge, en charge de l’enquête, ne peut raisonnablement veiller en même temps à la garantie des droits de la personne mise en examen ».
Nicolas Sarkozy souhaite aussi des audiences publiques pour le contentieux de la détention ; que l’avocat soit présent dès le début de l’enquête. Une réforme incontournable pour le chef de l’état.
Nicolas Sarkozy : « J’entends que soit conduite cette réforme de la procédure pénale. Dans le consensus, mais pas dans l’immobilisme, dans le dialogue et l’ouverture, mais pas dans le corporatisme ».
A la sortie, entre magistrats et avocats, les avis sont partagés :
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Christophe Regnard, Président de l’Union syndicale des Magistrats : « Tout ça, ce sont des leurres qui cachent le seul vrai motif de cette réforme de suppression du juge d’instruction : on veut définitivement éradiquer un juge qui a montré par trop son indépendance ».
. Thierry Herzog, avocat : « Il y aura par rapport à aujourd’hui un véritable progrès car vous aurez, par rapport à un procureur qui sera l’accusateur, en face un défenseur, un avocat, avec des droits ».
Au même moment des avocats et des magistrats manifestent leur opposition à cette réforme. Un barrage de gendarmerie les empêchera d’approcher et de dire à Nicolas Sarkozy le fond de leur pensée
Mr Anne-Laure Compoint, avocate : « Je suis pour l’indépendance absolue du magistrat instructeur, ce qui ne sera jamais le cas avec les parquetiers »
Mr Françoise Cotta, avocate : « On nous annonce la mainmise totale du pouvoir politique sur la justice. Ce n’est plus de la peur, mais de la terreur ».
Suit la chute. Fin du reportage.
Un reportage
apparemment équilibré, donc, où sont exposés
différents avis, celui du chef de l’état, celui d’avocats favorables à cette loi, et défavorables.
Je ne discuterai pas ici du bien ou du mal fondé de cette réforme. Il y a, comme on dit, du pour, et du contre, et il ne manque pas de citoyens, de magistrats, de pénalistes, de journalistes spécialisés pour nous informer sur les tenants et aboutissants de ce projet. Ce matin, par exemple, sur France Culture, on pouvait entendre
Mireille Delmas-Marty, professeure au Collège de France qui, préconisait dès 1990 « de supprimer la fonction de juge d’instruction ».
Mais revenons au reportage de France2. Le citoyen est content, entre la poire et le fromage il passe au sujet suivant. Sauf que non. En regardant attentivement ce reportage, quelque chose m’a chiffonné. Je me dis « ce n’est pas possible, il y a un truc qui cloche là-dedans ».
Car cet avocat que l’on aperçoit presque subrepticement dans le reportage et qui défend la réforme voulue ardemment par Nicolas Sarkozy, son nom me dit quelque chose.
Herzog, voyons... Je tape sur mon moteur de recherche préféré et j’arrive sur Wikipédia : «
Thierry Herzog est un avocat français. Pénaliste, il s’est illustré dans la défense de personnalités politiques impliquées dans des affaires politico-financières. Il fut l’avocat de Xavière et Jean Tibéri »…
Pas mal, le cv. Mais c’est la suite qui est vraiment intéressante. Je ne doute pas que nombre d’entre vous la connaissent, mais je ne résiste pas, au cas où les plus nombreux ne comprendraient pas où je veux en venir, à la citer : « Il est aussi l’avocat de Nicolas Sarkozy, partie civile dans l’affaire Clearstream et de son fils, Jean, impliqué dans une affaire de délit de fuite… ».
Evidemment, pas question de mettre la parole de Maître Herzog en doute ; Il a le droit, en son âme et conscience d’être favorable à une réforme vivement souhaitée par son client. Mais n’est-il pas, en l’occurrence, juge et parti ?
Mais pourquoi la rédaction de France 2 n’a pas indiqué que Thierry Herzog est l’avocat de Nicolas Sarkozy ce qui est tout de même bigrement important.
Pourquoi avoir choisi cet avocat-là, précisément, alors qu’il nous est expliqué, à la fin de ce reportage que des avocats et magistrats manifestaient leur désapprobation. Donc, il suffisait de se pencher pour en ramasser, tellement leur présence au mètre carré était dense.
Quelle mouche a donc piqué la
rédaction de France2, seulement
deux jours après avoir diffusé un reportage douteux sur Gaza sur son JT de 13 heures ?
Assistons-nous déjà à la mainmise du pouvoir sur l’information, sur la justice. Ou sur les deux ?
Crédit image :
France 2