L’affiche des « Premières rencontres du 5ème pouvoir » : les métamorphoses de la souris
par Paul Villach
jeudi 29 mars 2007
C’est fou comme ce petit boîtier qu’on fait glisser sur son tapis et presse pour piloter son ordinateur, inspirent les publicitaires ! Il faut dire que sa forme s’y prête.
Déjà, par intericonicité, son profil bombé de muridé ramassé sur lui-même avec un fil au bout, a imposé une image sans rivale : et du coup le mot « souris » a gagné un nouveau sens figuré, un précédent, très ancien, désignant le manchon de viande qui tient l’os nu d’un gigot.
En lisant de haut en bas
L’affiche publicitaire des « Premières rencontres du 5ème pouvoir », diffusée par AGORAVOX, pouvait difficilement éviter de mettre la souris en scène, et même, 5ème pouvoir oblige, en cinq exemplaires. Elle contient en elle-même de si belles métonymies. Comme une partie représentant un tout, elle renvoie bien sûr à l’ordinateur et au réseau Internet auquel il est connecté ; du coup, elle évoque au-delà du contenant matériel le contenu : les échanges par millions. Lue de haut en bas, l’affiche présente les souris prêtes à l’emploi à une foule dispersée sur des gradins. L’image d’un fondu enchaîné, allant de cette foule aux souris offertes, est celle d’ une symbiose entre elles que rend désormais possible le réseau Internet. Grâce à ce miracle de technologie, les individus dispersés entrent en relation comme le confirme l’image des fils qui s’entrecroisent. Le slogan, pastichant « la Marseillaise », « À vos blogs citoyens ! », appelle d’ailleurs chacun à rejoindre ce vaste champ d’échanges étendu aux quatre coins du monde qu’est devenue cette petite place publique au pied de l’acropole d’Athènes, qu’on appelait, il a 25 siècles, « agora ».
En lisant de bas en haut
Mais il semble que la couleur bleu-mauve choisie invite à ne pas confondre l’azur du rêve avec la réalité. Cet échange universel auquel l’affiche invite, reste encore balbutiant, voire incertain. Ce sont ces mêmes diablesses de souris qui, par une autre intericonicité, conduisent à ne pas prendre ses rêves pour des réalités. En lisant, cette fois, l’affiche de bas en haut, on découvre, en effet, une image lourde de menaces : avec leur taille disproportionnée par rapport à la foule, ces souris prennent des allures de gros engins-scarabées extra-terrestres qui, embusqués dans la brume du fondu-enchaîné au dessus d’une foule insouciante, la guettent avant de fondre sur elle. C’est que la puissance d’Internet est ambivalente : elle peut être mise au service du bonheur de l’humanité comme de son malheur. Inutile d’épiloguer ! Qu’on songe seulement à ce qui serait arrivé si, au lieu de fiches cartonnées pour opérer leurs rafles, les régimes tyranniques du 20ème siècle avaient pu disposer de cette puissance informatique qui trie et classe en un millième de seconde, sans même laisser place à l’erreur.
Mais avant AGORAVOX, la souris s’était prêtée à des métamorphoses plus inattendues. Au jeu de l’intericonicité qui consiste à faire reconnaître dans une image inconnue une image déjà vue et mémorisée, tout est affaire de cadre de référence. Ainsi, un site d’enchères sur Internet a-t-il fait forcément monter les enchères - sur une idée d’Euro RSCG -, en voyant dans les souris prêtes à renchérir sur le lot unique convoité, la course folle à laquelle se livrent les spermatozoïdes vers l’ovule unique qui ne se donnera qu’à un seul. Le leurre d’appel sexuel qui capte l’attention d’une manière sans égale, est, en effet, d’une plasticité à la mesure de l’inventivité cérébrale phénoménale de la sexualité humaine. Qu’on en juge par cette autre métamorphose de la souris, due cette fois à Publicis pour le site internet néerlandais de « Play Boy » ! L’intericonicité, bien sûr, n’est ici lisible que des spécialistes. Mais qui ne l’est pas en la matière ? Si le génie consiste à dire beaucoup avec une économie de moyens, l’auteur de cette trouvaille en est un, d’autant que la souris retrouve par un détour inattendu un autre de ses sens figurés, mais très sexiste celui-là comme il convient à un pareil site. Paul VILLACH
N.B. L’ensemble des autres compte-rendu de cette journée sont disponibles à partir de cet article de Carlo Revelli.