L’Anti-Edition de Marc-Edouard Nabe

par A.S BENOIT
lundi 5 avril 2010

A l’heure ou la SCAM révèle les « mauvais traitements » que subissent les auteurs dans leurs maisons d’édition (absence de relevé de ventes, non-versements des droits vendus à l’étranger, etc.), Marc-Edouard Nabe, lui, se débarrasse définitivement des éditeurs. Il publie tout seul son 28e livre : L’Homme qui arrêta d’écrire.  Sa plate-forme marcedouardnabe.com vend en direct son dernier ouvrage ainsi que la majeure partie de son œuvre dont il a réussi, au terme d’un long procès, à récupérer les droits. Comme il l’a longuement expliqué dans plusieurs interviews, il ne s’auto-édite pas, il fait de l’anti-édition. 

Doit-on encore appeler cela un livre ? Il est absolument introuvable en librairie. A la rigueur, on pourrait tomber dessus chez son boucher ou au café du coin mais sûrement pas chez son libraire. L’objet échappe aux rayonnages et aux bases de données, il est inclassifiable, et donc indistribuable : pas de code-barres, pas de numéro de série, pas de quatrième de couverture, et pas même de prix : un bloc noir de 686 pages au titre pastel portant le numéro 28. Tout simplement invendable.
 
 A la différence de tous les livres que vous trouverez en librairie, celui-ci n’est pas une marchandise. Il arrive intact entre vos mains. Ni éditeur, ni distributeur, ni diffuseur. Pas un marchand du Temple ne l’a touché. Pas un journaliste ne l’a reçu. Seul le lecteur y a accès. Il le commande tout simplement sur marcedouardnabe.com et deux jours plus tard l’objet lui est livré.
Qui aurait parié sur le succès d’une telle entreprise ? Absolument personne. On nous a tellement répété que rompre avec le Système c’était se condamner à mourir, et de faim, et d’oubli que nous avons tous fini par le croire. Nous avons oublié que le monde réel existait. Nabe nous le rappelle. Car ses ventes sont inespérées. Les lecteurs s’arrachent le gros livre noir. Le premier tirage de mille exemplaires a été épuisé avant même que le livre ne soit achevé d’imprimer. Chaque jour, les commandes affluent et le cap des 3000 sera bientôt passé. Peu importe les chiffres d’ailleurs, Nabe a le temps. Il est même hors du temps maintenant, libéré du cauchemar des « Rentrées », des offices et de la perversité des modes journalistiques.
 
C’est le triomphe du monde réel sur le monde virtuel dans lequel on nous contraint à vivre chaque jour. Les 3000 ventes de Nabe sont plus réelles que les 100 000 de Marc-Levy dont chacun sait, même l’intéressé, qu’elles sont purement factices. Marc-Levy n’existe pas. Son destin est de clignoter sur des Iphones ou des Nexus, d’être renvoyé au Néant à la moindre coupure de courant.
 
Le succès de Marc-Edouard Nabe est une vraie leçon. Pas seulement pour les écrivains, pour tous ceux qui rêvent de sortir du servage que ce système impose insidieusement à tout individu, un servage qui maintenant est vécu comme une telle fatalité que beaucoup d’employés (et pas seulement à France Telecom) préfèrent aujourd’hui le suicide à la conquête de la liberté. Car la Liberté demande un courage immense. Et il en a fallu à Nabe pour continuer à travailler dans une solitude complète pendant plus de quatre ans…
 
Ce livre ressemble à son auteur : incorruptible. Depuis plus de 25 ans, Nabe n’a jamais travaillé que pour la Littérature qui est un autre nom pour la Vérité. Il lui a véritablement tout donné. Ceux qui le connaissent savent combien il lui aurait été facile de devenir riche et célèbre. Quel éditeur, quel producteur, quel journaliste ne l’a pas courtisé ? Frédéric Beigbeider aurait rêvé d’en faire son meilleur ami. Ruquier ou Ardisson virerait sur le champ tous leurs amuseurs de pacotille pour quelques paroles de Nabe qui magnétisent les foules. Il suffisait à l’écrivain de donner quelques gages, même imperceptibles, courber un tout petit peu l’échine pour se voir dérouler le tapis rouge qui mène à la gloire d’aujourd’hui. Mais Nabe a toujours dit non. Et c’est bien ce qu’on ne lui a jamais pardonné. S’il a été tant haï, honni, insulté et s’il reste si dangereux aujourd’hui c’est qu’il s’est permis ce luxe incroyable : rester pauvre et rester seul.
Plus Nabe avance en âge, plus ses lecteurs rajeunissent. Ils ont entre 20 et 30 ans aujourd’hui. Ce vingt-huitième livre est leur livre. Le narrateur, écrivain qui a abandonné l’écriture, se laisse guider par un jeune bloggeur dans les haut-lieux et les bas-fonds de la capitale. De cocktails en boîtes branchées, de salles de jeux-vidéos en plateaux-télé et conférences de presse, on découvre un Paris sans âmes, écrasé par l’ennui. Des célébrités aux allures fantomatiques tirent les dernières ficelles et entretiennent jalousement les ruines d’un monde mort. L’Homme qui arrêta d’écrire est un véritable guide de décryptage des années 2000. Nabe y trace le portrait d’une jeunesse morte avant d’avoir vécu, perdue dans un monde de simulacres où le Mensonge comme la Vérité ont été coulés dans l’océan de l’insignifiance.
Dans cette époque sinistre, Nabe est un des rares artistes à avoir conservé sa joie intacte. Une joie qui est la Foi, celle qui déplace les montagnes. Et si les êtres de vingt ans le lisent avec frénésie et le cherchent sur tous les écrans, c’est que Nabe leur offre ce qu’ils désirent le plus au monde sans savoir le nommer : être inspirés.
 Anne-Sophie Benoit
 
Pour mieux comprendre la démarche de Marc-Edouard Nabe :
> Site des lecteurs : http://www.alainzannini.com
> Plate-forme de vente des œuvres : http://www.marcedouardnabe.com
 

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