L’Auvergnat se meurt…, L’Auvergnat est-il mort ?

par Fergus
mercredi 26 août 2009

« L’oubli drape les morts d’un second linceul » écrivait Lamartine. Un second linceul qui risque de faire définitivement disparaître dans la poussière de l’Histoire des médias Louis Bonnet, fondateur de l’hebdomadaire bien connu des bistrotiers de la capitale : L’Auvergnat de Paris. Car le journal emblématique des bougnats est en état de mort clinique. Placé en liquidation judiciaire, L’Auvergnat de Paris a cessé de paraître. Et sans doute ne se relèvera-t-il pas de ce nouveau coup...

C’est en lisant Le Canard Enchaîné que j’ai appris la nouvelle. Et je l’avoue sans honte, elle m’a fichu un coup au cœur. L’Auvergnat de Paris n’avait pourtant rien d’un journal progressiste. À certains égards, il avait même des côtés un tantinet poujadistes. Mais j’ai été en partie élevé en sa compagnie, et je lui suis resté fidèle durant de longues années. Non pour ses articles socio-économiques, mais pour ses plongées culturelles dans un patrimoine auvergnat éclectique : culturel, géologique, architectural ou paysan. Fidèle également au billet d’humeur hebdomadaire du talentueux Jean Chicou estampillé « En para lo costogno » (en épluchant les châtaignes). Fidèle surtout à ce qui faisait le sel de ce journal à mes yeux : les nouvelles du pays. Et plus que tout, les petits échos des communes rurales, classées par département. Des échos rédigés, à l’attention des compatriotes montés dans la capitale, par d’anonymes bénévoles : ici l’épicière, là l’instituteur, ailleurs l’épouse du pharmacien ou le retraité de la SNCF. Et quelles nouvelles ! 

Chaque semaine, la bande de routage déchirée, on allait de commune en commune, en quête de nouvelles des amis, des oncles et tantes, des cousins restés au pays. De Picherande (Puy-de Dôme) à Nasbinals (Lozère), en passant par Paulhaguet (Haute-Loire) ou Cheylade (Cantal), on y glanait ceci :

· Madame Delcros a récolté un cèpe de 1,2 kilo dans le bois d’Anglard.

· Louis Jouvente a racheté le tracteur John Deere de Jeannot Marty en remplacement de son vieux Massey-Ferguson.

· Nathalie Batifoulier, la fille des fermiers du Breuil, a obtenu son permis de conduire à sa 2e tentative.

· Daniel Lescure a vendu Napoléon, son taureau reproducteur salers primé à Paris, à un négociant d’Aurillac pour un élevage argentin.

· Madame Bompard est rentrée de Clermont, où elle était hospitalisée pour un ulcère à l’estomac. Elle est bien fatiguée.

Présent sur tous les zincs de la capitale

 

Tout cela peut paraître dérisoire, et objectivement ça l’était. Mais nous gardions ainsi un contact quasi permanent avec les monts d’Auvergne et avec des cousins éloignés, des connaissances perdues de vue, ou d’ancien(ne)s « bon(ne)s ami(e)s » qui reprenaient vie dans notre quotidien par le biais d’un bref écho paru dans L’Auvergnat. Et c’était exactement ce qu’avait voulu Louis Bonnet, fils d’un imprimeur aurillacois, lorsqu’il avait fondé le journal le… 14 juillet 1882. Cela, et l’annonce à la communauté auvergnate de Paris des évènements associatifs destinés à la souder : fêtes, banquets, concerts, assemblées générales. Sans oublier l’élection annuelle, lors de la traditionnelle Nuit Arverne, de la pastourelle de la Ligue Auvergnate. Celle qui, choisie parmi les pastourelles départementales, allait, un an durant, représenter le Massif Central lors des manifestations culturelles ou professionnelles (Salon de l’Agriculture). Mais là, pas de maillot de bain : la fille devait être certes plutôt jolie, mais surtout avoir la tête bien faite et posséder une bonne connaissance de l’Auvergne ou des départements associés (Lot, Corrèze et Allier).    

 
Cela dit, L’Auvergnat de Paris ne se limitait pas à ce lien affectif et à ce rôle de ciment de la communauté. Très vite, il est devenu l’organe de presse indispensable des restaurateurs et des limonadiers* de la capitale, de ces légendaires patrons de café-charbon moustachus et rudes à la tâche dont une large majorité provenait des départements du Massif Central, et notamment des trois qui se rejoignent, au cœur de l’Aubrac, à la Croix des Trois-Evêques** : l’Aveyron, le Cantal et la Lozère. Il suffit à cet égard de traverser l’été le superbe village de Saint-Urcize, envahi de voitures immatriculées en région parisienne, pour se rendre compte de l’ampleur de ce phénomène parfaitement décrit par l’historien régional Roger Girard dans son excellent livre sociologique intitulé Quand les Auvergnats partaient conquérir Paris.

Des restaurateurs et des limonadiers – les fameux bougnats – qui trouvaient dans L’Auvergnat de Paris, sous forme d’articles et de petites annonces, toutes les informations utiles sur le marché de l’emploi dans leur secteur d’activité, sur les fournisseurs de café et de percolateurs, ou sur les nouveautés législatives et réglementaires. À tel point que presque tous les restaurants, brasseries et bistrots de la capitale étaient abonnés à l’hebdomadaire, y compris ceux qui étaient tenus par des patrons non-Auvergnats. « Un auxiliaire indispensable », m’a dit un jour le rabelaisien Robert Cointepas, patron… angevin de la Taverne Henri IV, un bar à vins réputé du Pont-Neuf.

Une inévitable agonie

L’émergence d’internet, les difficultés corrélatives de la presse, la baisse des recettes publicitaires, et la dilution progressive du sentiment communautaire ont porté des coups très rudes à L’Auvergnat de Paris. Il est bien loin le temps où l’on pouvait discuter du pays dans les confortables bureaux du 13 boulevard Beaumarchais, au cœur de ce Paris des Auvergnats dont la place de la Bastille et la rue de Lappe constituaient l’épicentre, à l’image du Montparnasse des Bretons. Après une première grave alerte en 2004 et l’adoption dans son titre du logo CHR (annuaire des cafés, hôtels et restaurants), l’hebdomadaire, de nouveau en difficulté, a été repris en juillet 2008 par Yvon Mézou, président de la holding professionnelle Bistrots & Comptoirs. Le nouveau patron a tenté de revenir aux fondamentaux, et notamment à la forte empreinte identitaire qui a marqué l’histoire du journal durant des décennies de gestion par Louis Bonnet puis ses héritiers. En vain : devant l’accumulation des pertes (300 000 euros par an), L’Auvergnat de Paris a déposé le bilan le 23 juillet 2009. Le 6 août, il était mis en liquidation judiciaire par le Tribunal de Commerce de Paris.

 

Désormais, le vieux journal de Louis Bonnet, compagnon fidèle des bougnats depuis… 127 ans, ne répond plus. Et aucun air de cabrette ou d’accordéon, aussi joyeux soit-il, ne pourra faire passer cette désolante nouvelle : L’Auvergnat se meurt…, L’Auvergnat est mort ! 

 

* Les premiers débitants de boissons vendaient de la limonade dans les rues de la capitale, d’où leur nom de « limonadiers ». Un nom qui a survécu à l’avènement des bistrots, et désigne aujourd’hui aussi bien le tenancier d’une buvette que le patron d’un… bar à vins !


** La Croix des Trois Evêques se trouve également à la jonction des évêchés de Mende, Rodez et Saint-Flour (origine de son nom) ainsi que des régions Auvergne, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées.

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