L’esprit Open Source donne-t-il lieu à de nouveaux modèles de société ?

par Francis Pisani
lundi 20 février 2006

La deuxième conférence mondiale Open Source/Logiciels libres qui s’est tenue à Malaga en Andalousie la semaine dernière a permis à près de 6000 personnes de voir comment les programmes tournent sur des machines normales. Elles ont pu aussi assister à de multiples débats entre 200 intervenants venus d’un peu partout d’Europe et des Amériques.

Pour ceux qui l’ignorent encore, il est fascinant de voir comment l’adoption des programmes Open Source/Logiciels libres est l’objet de discussions stratégiques aussi bien dans les entreprises que dans les écoles et universités, les ONG et les gouvernements nationaux ou locaux. Il y a maintenant deux voies possibles, et un nombre considérable de solutions plus ou moins hybrides.

J’étais invité à participer à deux discussions. La première portait sur la contribution du mouvement à l’émergence de nouveaux modèles de société.

Éthique et « capitalisme informationnel »

Javier Bustamante, philosophe et professeur, a évoqué les dimensions éthiques en jeu et souligné le rôle de la coopération, de la volonté de partager. Les technologies de l’information et de la communication facilitent l’échange, alors même que « l’égoïsme éclairé » nous pousse à mieux partager. Bustamante applique au mouvement ce proverbe indien cité par Dominique Lapierre, selon lequel « tout ce qui ne se donne pas se perd ».

Sergio Amadeu, ancien responsable du secteur Open Source du gouvernement brésilien, a posé le problème en termes de luttes à l’ère du « capitalisme informationnel ». « L’innovation indispensable à la reproduction du capital » bénéficie du partage, affirme-t-il. Mais la pratique croissante de cette notion fondamentale risque de « créer un virus fatal pour la concentration de richesses et la monopolisation ». D’où les résistances.

Les pouvoirs en question

J’ai pour ma part essayé de montrer que l’esprit Open Source commence à atteindre certaines des composantes essentielles du pouvoir.

L’Internet et les téléphones dotés de caméras permettent aux citoyens de surveiller les puissants et de mettre en commun les informations obtenues. Cela vaut pour les vedettes de cinéma, les hommes politiques et les journalistes.

Cette inversion de l’ère de la surveillance (de la périphérie par le centre) caractéristique de la modernité, symbolisée par le Panoptique de Bentham, repris par Michel Foucault, est amplifiée par le développement des réseaux sociaux, qui sont eux-mêmes renforcés par le pouvoir de communication horizontale offert par les TIC.

Dans un autre domaine, le pouvoir de mobiliser les ressources en dehors des institutions s’accroît. Le site Global Giving, par exemple, permet à des philanthropes de se mettre directement en contact avec des organisations du tiers monde, et de participer directement à leurs activités, que ce soit avec de l’argent, du travail personnel ou avec des connaissances.

Le quatrième pouvoir, celui des médias, est lui aussi profondément remis en cause par la participation de tous et le partage des informations. On le voit dans les commentaires ajoutés aux articles, le journalisme citoyen, et le tagging qui permet une classification sur laquelle les responsables de journaux n’ont aucune prise.

Même la guerre peut se mener dans l’esprit Open Source, comme le montre John Robb sur son site Global Guerillas (J’y reviendrai).

Si l’éthique, l’économie et l’articulation de certains pouvoirs essentiels sont remis en cause par le mouvement Open Source, il est tentant de dire que celui-ci contribue à l’émergence de nouveaux modèles de société.

Qu’en dites-vous ?


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