L’éthique journalistique de Libération

par mikiane
jeudi 16 mars 2006

« Mais que font encore ces salauds d’Israéliens ! » Voilà en gros ce que l’on pouvait raisonnablement se dire en lisant le Libé du jour à propos de l’intervention musclée de Tsahal à la prison de Jéricho.

Décryptage : à la une, en photo, on voit une foule d’hommes en sous-vêtements, visiblement énervés d’être ainsi humiliés. Gros titre : « Raid électoral à Jéricho ». Message subliminal : c’est Abu Graïb en Palestine ! Première réaction : l’armée israélienne s’en est prise aux Palestiniens hier pour des raisons sombrement électorales... Regardons d’un peu plus près, sous-titre : « A quinze jours du vote en Israël, l’armée a donné l’assaut pour capturer un leader radical. En représailles, plusieurs étrangers ont été pris en otages ». Ah, ça se précise... C’était pour capturer un « leader radical ». Mais pourquoi donc les Israéliens ont subitement décidé de s’emparer de ce bonhomme, là, maintenant ? Évidemment pour des raisons électorales... Bien cons, ces Israéliens ! D’autant plus que maintenant, après cette provocation, on s’en prend à de gentils étrangers dans la Bande de Gaza... Mais tout de même, vous ne trouvez pas bizarre que les Israéliens aient, comme ça, tout d’un coup, décidé d’enlever cet homme enfermé dans une prison palestinienne depuis des années ? Il faut en savoir plus... Didier François, envoyé spécial de Libération en Israël et dans les territoires, a produit un papier. On y apprend que les Israéliens venaient chercher « Ahmed Saadat, secrétaire général du FPLP, détenu dans cette prison de l’Autorité palestinienne depuis 2001 pour avoir ordonné l’assassinat d’un ministre israélien. » Et ça y va, « des chars », « des obus », des « rafales d’armes automatiques », de « la brume de poussières et de fumées », et tout ça pour aller chercher, dans sa cellule, le chef d’une « organisation à tendance marxisante ». On va s’arrêter là, on a compris ! Ces fascistes d’Israéliens jouent les gros bras pour s’en prendre à un révolutionnaire de gauche enfermé dans une cellule pour avoir débarrassé la planète d’un ministre du gouvernement Sharon !

C’est en tout cas ce que bon nombre de lecteurs pressés vont comprendre de cette couverture de l’évènement par Libération ! Finalement, on reste sur sa faim. Pourquoi diable les Israéliens ont-ils, hier, utilisé les grands moyens pour s’emparer d’Ahmed Saadat ? Rien dans Libération ne nous le dit, si ce n’est une vague interprétation concernant l’approche des élections israéliennes et le sempiternel racisme anti-arabe, façon Abu Graïb... Pourtant l’info est bien là. Il suffit d’ouvrir les pages du Figaro pour avoir accès à une donnée capitale, jusque-là complètement occultée par la rédaction de Libération : Ahmed Saadat, commanditaire présumé de l’assassinat de Rahavam Zeevi (ministre du tourisme du gouvernement Sharon) devait être libéré cette semaine. C’était en tout cas la récente annonce faite par le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas ! Depuis 2001, le « leader radical » avait été mis sous surveillance palestinienne et sous contrôle britannique et américain après une longue négociation entre l’autorité palestinienne et le gouvernement israélien. Mahmoud Abbas a probablement pris cette décision sous la pression du Hamas, rompant ainsi les accords passés avec les Israéliens. Ces derniers, extêmement sensibles au sort réservé aux terroristes et aux assassins de représentants de l’Etat, ont vu rouge et réagi violemment à la rupture de l’accord. D’où l’intervention soudaine, et les manoeuvres militaires pour récupérer le bonhomme avant sa mise en liberté...

Évidemment, la stratégie de réponse est critiquable, l’opération semble disproportionnée, les raisons de l’intervention paraissent politiques... Mais la question n’est pas là. Je veux parler ici du choix éditorial de Libération. Lorsqu’on est aussi important dans le paysage médiatique national, qu’on couvre cet évènement en une et qu’on n’énonce pas même une seule fois une information aussi capitale (la décision par Mahmoud Abbas de libérer l’assassin présumé du ministre du tourisme israélien), eh bien moi, j’appelle ça une faute éthique. Et c’est au comité de rédaction que va cette critique.


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