L’inévitable démission de J.-P. Elkabbach, président de Public-Sénat et baron de Lagardère

par Manuel Atreide
mercredi 4 juin 2008

Au moment où se confirme l’éviction de M. Elkabbach de la direction d’Europe 1, intéressons-nous de plus près aux fonctions d’un homme de médias qui n’a jamais cessé de faire polémique. En effet, J.-P. Elkabbach occupe une position unique dans le paysage médiatique français.

Jean-Pierre Elkabbach n’est pas un journaliste comme un autre. Dès avant 1981, alors qu’il était - déjà - en poste à la télévision comme directeur de l’information, il était dans la ligne de mire des partis de gauche pour ses accointances supposées avec la droite. En 1979, il écarte Claude Sérillon de la revue de presse, ce dernier ayant osé parler de l’affaire des diamants de Bokassa, dossier qui éclaboussait le président de la République d’alors, M. Giscard d’Estaing. Ayant démissionné après l’élection de François Mitterrand, il part alors chez Europe 1.

Il revient au sein la télévision publique en 1993 en tant que président de France Télévision, poste qu’il sera contraint d’abandonner en 1996 après qu’un scandale eut éclaté concernant la rémunération de certains animateurs producteurs d’émissions du service public. Il reviendra alors sur Europe 1 dont il prendra la tête en 2005.

Il semble que cette période soit désormais du passé. Le petit monde médiatique de la capitale bruisse sur les raisons de son départ de la radio, propriété du groupe Lagardère. Serait-ce en raison de la récente bourde d’Europe 1, qui avait annoncé prématurément le décès de pascal Sevran, le 21 avril 2008 ? Pour le moment, nous n’avons aucune confirmation. Cependant, J.-P. Elkabbach quitte Europe 1 pour prendre la présidence de Lagardère News, une entité chargée de piloter l’ensemble des contenus numériques du groupe de médias français.

Si l’histoire s’arrêtait là, nous serions en face d’une petite nouvelle uniquement destinée à faire les gorges chaudes de la "bullocratie" comme aime à l’appeler Jean-François Kahn. Mais Jean-Pierre Elkabbach est aussi à la tête d’une autre entité médiatique, il est PDG de la chaîne Public-Sénat.


Et c’est là, à mon avis, que le bât blesse. Pulic-Sénat est une chaîne publique, financée par la Haute Chambre du Parlement français. Public-Sénat et sa consœur LCP-AN sont en quelque sorte la tribune de la classe politique française, tribune financée par la collectivité nationale.

La double casquette de M. Elkabbach pouvait déjà poser problème lorsqu’il était à la tête d’Europe 1. Maintenant qu’il semble rejoindre le cœur de l’organigramme du groupe Lagardère, il n’est plus possible de fermer les yeux sur les risques que cette double appartenance peut créer. Comment en effet un même homme peut-il diriger une chaîne de service public - avec un caractère éminemment politique de surcroît - et être l’un des hommes-clés d’un groupe de médias privé ? Comment peut-on imaginer que la position de M. Elkabbach est déontologiquement tenable, ne serait-ce que dix minutes ?

Lagardère News va gérer le contenu numérique du groupe Lagardère. Cette division pourra-t-elle soumettre sa candidature si Public-Sénat est amenée à rechercher des partenaires pour une éventuelle croissance sur le web ? Si oui, M. Elkabbach, PDG de Public-Sénat discutera-t-il avec M. Elkabbach, patron de Lagardère News ?

De même, quelle sera la position du PDG de Public-Sénat si le groupe Lagardère se retrouve sur la sellette dans le cadre d’une mission d’enquête parlementaire ? Cette situation n’est pas une vue de l’esprit. Lagardère est en effet un rouage éminent du secteur privé français, tant dans le domaine de l’armement que de l’avionique et des médias. Arnaud Lagardère, son président, a d’ailleurs récemment témoigné devant les membres du Parlement dans le cadre de l’affaire EADS-Airbus.

La position de M. Elkabbach est intenable. Sans présumer de la moralité de cet homme, il est évident qu’au moindre clash médiatique concernant le groupe Lagardère il se retrouvera immédiatement sommé de prendre position.

Pourtant, à l’heure où je boucle cet article (mercredi 4 juin à 10 heures), alors que l’avenir du secteur public de l’audiovisuel est en discussion au sein de la commission Copée, avec une démission annoncée des membres de gauche, je n’ai trouvé aucun politique pour prendre position sur le statut d’un homme que ses fonctions condamnent au soupçon permanent, qu’il le mérite ou non.

Mme Tasca, ancienne ministre de la Culture et de la Communication, sénatrice PS, membre du conseil d’administration de la chaîne, n’a pas voulu réagir à mes questions.

M. de Broissia, sénateur UMP, lui aussi membre du conseil d’administration de Public-Sénat et sans doute l’un des sénateurs les plus intéressés par les questions audiovisuelles, n’est pas disponible ce matin pour réagir.

La solution est peut-être dans la décision personnelle que doit prendre M. Elkabbach : démissionner de lui-même de son poste de président de Public-Sénat. Ou renoncer à ses fonctions au sein du groupe Lagardère. Les deux sont, à mon avis, incompatibles.

Manuel Atréide


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