L’information citoyenne face aux journalistes professionnels

par Bernard Dugué
vendredi 29 janvier 2016

L’information est présente dans la nature, la matière, le cosmos et elle nous entoure. L’homme a comme particularité d’être un animal qui a développé des systèmes de communications utilisant des signes avec un système de sémantisation assuré par cet organe qu’est le cerveau. Grâce à ce système de signes et d’interprétation, l’homme peut réaliser des finalités qui dépassent de loin celles poursuivies par les autres espèces animales. Une transition majeure est arrivée à l’ère des transmissions par voie électrique ou électromagnétique. L’information n’est plus exprimée et reçue avec les limites matérielles. Par exemple lors d’une rencontre, en se parlant, en échangeant des livres ou des missives. A l’ère technumérique, les informations franchissent les limites matérielles et chaque foyer peut accéder à un ensemble d’images et de récits provenant du monde entier. L’époque où les nouvelles d’Amérique mettaient plusieurs semaines à arriver est révolue.

La relation entre l’individu et le flux d’information s’est transformée radicalement ces dernières décennies. On oublie souvent un élément important. L’information s’échange moyennant une transaction entre celui qui produit l’information, celui qui la diffuse et celui qui la reçoit. Le média est par définition en position de médiation, d’intermédiaire. On devrait employer le néologisme « intermédia ». Il y a un siècle, l’individu voulant être informé accomplissait l’effort d’aller chez le vendeur de journaux pour être satisfait. En 2015, l’individu peut recevoir toutes les informations ou presque en restant dans son domicile, avec un téléviseur et un ordinateur. Le problème n’est plus vraiment d’aller chercher l’information que de réduire, sélectionner, couper l’information, notamment pour se préserver d’une submersion pouvant altérer le processus de sémantisation du réel.

L’information dans le sens anthropologique est un outil permettant aux individu de connaître indirectement le monde ainsi que d’acquérir des savoirs utiles à la conduite de l’existence ainsi que des discours permettant de forger la pensée et de s’orienter dans les champs idéologique, politique et axiologique en appréciant les valeurs et en hiérarchisant les contenus s’il y a lieu.

Cette remarque nous conduit à interroger la production et la diffusion de l’information. Avec en premier lieu un constat. Toute information qui concerne la vie humaine se présente sous forme d’un récit. Avec du langage parlé ou écrit, puis des images, statiques ou en mouvement, accompagnées d’un complément sonore au pas. A l’ère technumérique, les images sont omniprésentes ainsi que les récits peu ou prou simplistes façonnés comme storytelling avec parfois des usages à des fin politiques. L’information produit un effet sur les sujets et leurs représentations du monde. La propagande est un vieux procédé qui a pris un tournant plus efficace et plus vaste à notre ère technumérique.

Les médias de masse sont bousculés par l’arrivée des journaux en ligne avec un impact assez modeste provenant des sites alternatifs et des médias citoyens comme peut l’être Agoravox. Par expérience, je sais comment et pourquoi l’information citoyenne est assez différente de l’information professionnelle. Le chroniqueur indépendant rédige ses textes en choisissant ses thèmes librement tout en développant ses idées, récits et thèses avec une vision très subjective qui peut s’avérer plus impartiale que celle des médias de masse. Le chroniqueur indépendant donne de sa personne et parfois, ses écrits résonnent avec plus d’authenticité que ceux des rédacteurs en chefs et des journalistes encartés publiant dans les grands médias.

L’information produite dans les médias de masse obéit à deux objectifs, le plus décisif étant l’adéquation entre l’information et le récepteur de l’information car les enjeux économiques sont importants. Un journal qui ne se vend pas disparaît. L’autre enjeu que poursuit le rédacteur à travers son journal, c’est de diffuser sa pensée et la ligne idéologique de sa vision sociétale. Il n’obéit pas aux ordres, il est en personne l’ordre idéologique, avec les connivences que l’on sait avec d’autres ordres et pouvoirs. Le journaliste professionnel face au marché de l’information se situe comme le pouvoir du marché et le marché du pouvoir. Que dire de plus. Sinon que le journaliste citoyen est affranchi de ces deux puissances et peut s’exprimer sans pression. Sauf la pression qu’il se met pour élaborer des informations de qualité. C’est un souci partagé par une partie des chroniqueurs indépendants. Une partie qui ne sera pas évaluée car ce n’est pas évaluable.

Et notre journaliste professionnel, comment le situer ? On peut le voir à l’image d’un agent immobilier servant d’intermédiaire entre des personnes qui ont une information à diffuser et des gens en nombre qui sont en attente de la recevoir parce qu’ils ont été conditionnés pour la capter. Les gens sont excités par le dernier album de Rihanna, ce qui prouve que les médias ont bien joué leur rôle en rendant les gens addicts à cette artiste qui n’a rien d’exceptionnelle, comme du reste les gens qui l’écoutent. On pourrait multiplier les exemples. Le journalisme est devenu une affaire de transaction sur le marché de l’information. Le journaliste se moque de ce qu’il diffuse. Son seul objectif c’est de prélever une commission, comme l’agent immobilier, une commission pour vendre l’information et se vendre lui-même.

Ces idées mériteraient d’être développées mais il n’est pas certain que le grand public soit disposé à entendre un discours le présentant comme le dindon de la farce médiatique. C’est d’ailleurs ce qui fait la force des médias de masse. Et des idiots utiles qui les renforcent et qui sont les théoriciens du complot.


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