La dictature de l’instantané

par L’Audible
jeudi 20 février 2014

Comment expliquer le désamour chronique, voire la haine viscérale, qui se manifestent de plus en plus souvent envers les médias de masse ? Pas de doute, quand on parle des journalistes très vite les mâchoires se crispent et les critiques fusent avec virulence. Impossible de ne pas avoir entendu au moins une fois lors d’une conversation un avis indigné sur la question. Parmi les reproches qui sont faits aux journalistes : le fait d'être rivé sur l'instantané, d'être incapable d'aborder les sujets avec recul, et de relayer des informations sans les vérifier et sans en préciser la source.

Une information trop similaire
Une critique souvent avancée : l’art du semblable. Beaucoup de lecteurs s’offusquent de lire la même information répétée mots pour mots dans divers journaux. Les médias seraient-ils incapables de se distinguer ? N’auraient-ils donc rien d’autre à raconter ? Il existe deux réponses à cette tendance en expansion. La première est directement liée aux lois de la concurrence et la seconde se prénomme notamment Agence France Presse.

Quand une information sort et qu’elle est jugée suffisamment importante pour être couverte par un média concurrent, il paraît impossible pour un rédacteur en chef de ne pas la traiter. Ce serait louper le coche de ne pas la diffuser et les lecteurs ne comprendraient pas pourquoi on parle de la Syrie dans Libération mais pas dans Le Monde ou Le Figaro. C’est une question de stratégie, il faut être là où est le voisin, et si possible arriver le premier. Le scoop est le Saint Graal du journaliste et avec le développement des nouveaux médias, des smartphones et de toutes ces technologies qui rendent la connaissance de l’information toujours plus instantanée, c’est encore plus vrai.


Mais la concurrence n’explique pas pourquoi on retrouve souvent la même information décryptée dans les mêmes termes en presse écrite, à la télévision ou à la radio.

La source de l’information
Il faut savoir que les médias sont presque tous abonnés à ce qu’on appelle dans le jargon journalistique un « fil » d’actualités. Seuls les grands médias y ont accès car cela coûte très cher. Cette source d’information permanente est alimentée par des journalistes qui travaillent dans le monde entier pour des agences de presse. Il en existe trois à l’échelle internationale : l’ Agence France Presse (AFP), Associated Press (AP) et Reuters. Toutes ont pour mission de fournir l’information aux médias qui eux-mêmes décident de la retransmettre, ou pas, dans leurs pays d’origine. C’est pourquoi, il arrive souvent qu’une information soit répétée de façon identique sur France 2, TF1, M6, lue dans Le Monde, La Croix ou Le Parisien mais aussi entendue le jour même sur France Inter, Europe 1 ou RMC. Dans le petit journal de Canal +, Yann Barthes en a d’ailleurs fait sa marque de fabrique. Le reproche adressé aux journalistes n’est donc pas d’utiliser la même source, encore que, mais plutôt de ne pas le préciser. C’est ce qu’on appelle l’éthique.
*Et malheureusement, tous les journalistes ne sont pas aussi consciencieux.

Pourtant il semble évident que si le monde journalistique expliquait cette pratique courante et indispensable à la couverture quasi instantané de l’actualité, le grand public serait certainement plus indulgent et compréhensif. La transparence passe aussi par la compréhension et il n’y a pas de honte à revenir sur les fondements du métier, bien au contraire. Si les médias, tous supports confondus, sont aussi critiqués c’est parce qu’ils sont avant tout très prisés. Et s’ils souhaitent le demeurer, il serait peut être temps d’adopter un peu d’humilité. Il ne faudrait pas, sous prétexte d’être pressé par l’actualité qui n’attend pas, tomber dans le travers du copier-coller à moins que l’on veuille sonner le glas du journalisme.

Béatrice Fainzang pour l'Audible

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