« La Marseillaise » a-t-elle vraiment été sifflée lors du match France-Maroc ?

par Paul Villach
lundi 26 novembre 2007

Sous le titre « Allah les Bleus », un article du Canard enchaîné du 21 novembre 2007 parle de « la discrétion de violette » des médias au sujet des débordements qui ont assombri le match amical de football France-Maroc, au stade de France, le 16 novembre dernier.

« La religion du football aux joueurs millionnaires » a montré une fois de plus sa capacité à fédérer les cœurs dans l’exaltation du dépassement de soi et la fraternité entre les peuples.
L’hymne français a été copieusement sifflé par un stade aux couleurs marocaines, et, selon l’hebdomadaire, les joueurs français auraient été conspués en fonction de leur origine et même de leur confession religieuse supposée. Interrogé, le nouveau secrétaire d’État aux Sports, M. Bernard Laporte, a répondu qu’arrivé en retard, il n’avait rien entendu, ce qui, en rugby, s’appelle "botter en touche" ; quant à la stigmatisation confessionnelle des joueurs, il n’en a pas touché mot, selon le même Canard enchaîné.

Un précédent au cœur de la campagne présidentielle de 2002

Tant de pudeur intrigue quand on songe au retentissement qui avait été donné à juste titre à un événement semblable, le 6 octobre 2001, lors d’un match France-Algérie dans le même stade. Sans doute avait-il été mené grand tapage avant cette rencontre présentée comme celle de la réconciliation des deux pays sous l’éminent patronage de M. Zidane, héros commun unanimement célébré des deux côtés de la Méditerranée. Mais on retrouve dans les deux cas l’outrage envers l’hymne français. Seule les deux fins de match différent : le premier avait été interrompu par une irruption soudaine de supporters de l’équipe algérienne sur le terrain. Surtout, le Premier ministre d’alors, M. Lionel Jospin, présent dans la tribune officielle, avait été témoin de cette inconduite honteuse sans broncher. Les médias avaient alors abondamment commenté l’événement.
Comment expliquer cette différence de traitement avec même une tendance, pour les médias qui en parlent, à minimiser les incidents du 16 novembre dernier ? On en vient, par exemple, à se féliciter que «  (ce soit) juste le début des hymnes qui (ait) été sifflé », lit-on dans L’Express du 24 novembre, hebdomadaire qui était revenu sur les incidents du 6 octobre 2001 dans son numéro du 14 février 2002. Il est vrai qu’alors, la campagne présidentielle battait son plein.


On ne peut, en effet, écarter que de pareilles manifestations d’ethnisme anti-français accroissaient en France le sentiment anti-immigré et anti-musulman et renforçaient, quasiment par vases communicants, l’électorat d’extrême droite. Nul doute qu’elles aient aidé à placer le leader du Front national en deuxième position au premier tour de l’élection présidentielle de 2002 et contribué à éliminer le représentant de la gauche plurielle du second tour.

Les impératifs d’un grand écart politique

Aujourd’hui, la donne est inversée. La droite est au pouvoir grâce à un ralliement massif de l’électorat d’extrême-droite à son candidat, M. Sarkozy, au point que l’on peut soutenir que, sans ce ralliement qui lui a permis de totaliser 30 % des suffrages au premier tour en avril 2007, M. Sarkozy ne serait pas président de la République. Il ressort d’ailleurs de ses propres confidences, rapportées par Yasmina Réza dans son livre sur cette campagne, que la séduction de cet électorat était un axe essentiel de sa stratégie.
On pourrait donc s’étonner qu’il n’ait pas été fait usage des incidents pour plaire à cette fraction extrême de la majorité présidentielle. C’est oublier, au contraire, qu’attiser l’ethnisme anti-immigré et antimusulman, revient à compliquer la tâche du président élu. Il faudrait admettre dans ce cas que les réponses apportées à l’exaspération que suscitent ces manifestations anti-françaises, ne sont pas à la hauteur du problème : de quelle utilité est ici la loi de 2003 qui punit l’outrage aux symboles nationaux d’amende et même de prison quand il est commis en réunion comme dans un stade (Article 433-5-1 du Code pénal) ?
Ne risque-t-on pas ainsi d’alimenter les motifs d’insatisfaction de l’électorat d’extrême droite à qui on doit sans doute son élection, mais dont les réflexes primaires ne peuvent fonder une politique viable ? Entre les deux extrêmes de sa majorité présidentielle, l’électorat d’extrême droite et l’ex-socialiste M. Kouchner, ministre des Affaires étrangères, le président est condamné au grand écart s’il ne veut pas que chacun d’eux retourne à ses préférences partisanes originelles.

La règle de Tartuffe

Contrairement à 2001, la meilleure solution est donc aujourd’hui de minimiser l’événement et même, si possible, de ne pas en parler. L’importance d’un événement avec les effets qui en découlent, est rigoureusement proportionnelle au nombre de gens qui en ont connaissance ? Gardé secret ou diffusé auprès de cercles restreints, il n’existe tout simplement pas, même s’il n’en produit pas moins les effets attendus de son inexistence organisée. Si le cancer dont il souffrait avait été révélé au pays, le président Mitterrand aurait-il pu se représenter en 1988, sans donner à ses rivaux un argument qui mît en doute sa capacité à continuer d’assumer pleinement la lourde charge présidentielle ? Molière a codifié au XVIIe siècle dans Tartuffe cette relation directe entre l’existence d’un événement et son audience : « Et le mal n’est jamais que dans l’éclat qu’on fait. / Le scandale du monde est ce qui fait l’offense, / Et ce n’est pas pécher que pécher en silence. »

Il reste que cette asymétrie de traitement par les médias de deux événements comparables montre à l’évidence leur partialité politique. On sait bien que c’est pour eux la pire accusation qui puisse leur être faite et suscite de leur part une réaction de dignité outragée. Ne se présentent-ils pas sans cesse comme des « médias d’information » et non des « médias d’opinion » ? Sans doute, sans doute, mais à condition de définir l’information comme « la représentation plus ou moins fidèle d’un fait que l’on transmet volontairement, garde secrète ou extorque au gré de ses intérêts », ce qui ne la distingue guère d’une opinion.




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