La philosophie dans le foutoir
par Babar
mercredi 10 février 2010
Lundi, Bibliobs, site littéraire du Nouvelobs, révélait sous la plume d’Aude Lancelin la bourde de BHL, désormais bien connue de tous. Dans un de ses deux livres qui paraissent aujourd’hui chez Grasset, De la guerre en philosophie - « version remaniée d’une conférence prononcée en 2009 à l’ENS de la rue d’Ulm », précise Aude Lancelin - l’ancien nouveau philosophe évoque les recherches d’un certain Jean-Baptiste Botul.
Botul, comme chaque journaliste le sait depuis, est une pure invention d’Yves Pagès dont nous écrivions l’an dernier sur Agoravox qu’ « agrégé de philosophie », il « est aussi un spécialiste de Jean-Baptise Botul, philosophe inconnu, mais néanmoins auteur de plusieurs livres qui ont marqué l’histoire : Landru, Précurseur du Féminisme, La vie sexuelle d’Emmanuel Kant, Nietzsche ou le démon de midi ou encore l’indispensable Métaphysique du mou (tous parus aux éditions Mille et une nuits)...".
Pagès est également journaliste au Canard enchaîné où chaque semaine il tient le Journal de Carla B., pastiche du journal de l’épouse de Nicolas Sarkozy.
Entre Bergson et Bourdieu le dictionnaire des philosophes recense beaucoup de savants. Souvent ils ne sont pas connus du grand public. Mais on a beau chercher on ne trouve pas Botul.
Page 122 de son livre, BHL, explique la journaliste de l’Obs, « dégaine l’arme fatale. Les recherches sur Kant d’un certain Jean-Baptiste Botul, qui aurait définitivement démontré « au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néokantiens du Paraguay, que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence ».
Et BHL de poursuivre son implacable diatribe contre l’auteur de « La Critique de la raison pure », « le philosophe sans corps et sans vie par excellence ». Botul n’existe pas, mais ses livres, dont La vie sexuelle d’Emmanuel Kant existe bien. Il n’a pas été publié en 2004, mais en 1999, dans la petite collection des éditions 1001 nuits.
Depuis, BHL est la risée du monde médiatique qui, après avoir courbé l’échine, est plié en deux de rire devant le falsificateur. Le monde comme réalité est méchant.
Mais Bernard-Henri Lévy a-t-il bu la ciguë jusqu’à la lie ? Rien n’est moins sûr. Il a du potentiel, le gaillard. Sophiste de première bourre, rien ne peut l’atteindre et il est grand dans l’adversité.
Cependant le coup est rude. Pas tant parce que la dernière imposture en date n’en est qu’une de plus, mais parce que c’est celle de trop. En temps de crise nous avons besoin de philosophes, pas de foutriquets.
Il n’est finalement pas hasardeux que BHL soit ébranlé par Botul, un ectoplasme, un « à la manière deux », comme aurait dit Céline, un artefact, un faux-semblant tellement vraisemblable car né de l’imagination d’un vrai philosophe, quand BHL a été lancé comme une marque de lessive.
Souvenez-vous de cette mémorable soirée du 27 mai 1977. Il y a presque 33 ans de cela, Bernard Pivot invitait dans son émission Apostrophes une paire de philosophes nouveaux (André Glucksmann et Bernard-Henri Levy) flanquée de leurs contradicteurs (François Aubral et Xavier Delcourt) et un autre, figure tutélaire, d’un millésime plus ancien (Maurice Clavel).
Titre de l’émission : Les nouveaux philosophes sont- ils de droite ou de gauche ? Il y est notamment question de Socrate et de Platon, mais on s’en fout, maintenant.
On sait depuis que les nouveaux philosophes, mêmes anciens, ne sont ni de gauche ni de droite. On sait surtout que les nouveaux philosophes c’est BHL. Un point, c’est tout. Et pour longtemps.
Dès 1979, pourtant, Pierre Vidal-Naquet, rappelle Aude Lancelin dans son article, dénonce le cuistre. D’autres encore suivront.
BHL qui n’est pas la moitié d’un imbécile a réagi à cet « auto-entartrage », comme dit Frédéric Pagès qui revient sur l’affaire dans le Canard enchaîné du 10 février.
Il prend la chose, sinon, avec philosophie, du moins avec un semblant d’humour : « Lundi dernier, sur Canal+, il a reconnu son erreur, écrit Pagès dans le Canard, « avouant même un certain plaisir à [s]être laissé piéger par une mystification aussi bien ficelée ».
Dans Libération, qui rappelle que Bernard-Henri Lévy est actionnaire et membre du Conseil de surveillance, il transmet une lettre d’excuses :
« Salut l’artiste. Chapeau pour ce Kant inventé mais plus vrai que nature et dont le portrait, qu’il soit donc signé Botul, Pagès ou Tartempion, me semble toujours aussi raccord avec mon idée d’un Kant (ou, en la circonstance, d’un Althusser) tourmenté par des démons moins conceptuels qu’il y paraît. » Frédéric Pagès, expliquent les journalistes de Libération, invente Jean-Baptiste Botul en 1996, profitant d’une homophonie prometteuse avec le « botulisme », maladie mortelle provoquée par la toxine « botulique » : le terme Botox vient de là. L’association des amis de Botul organise lectures et conférences qui perpétuent la fiction. « Il n’a jamais été établi explicitement que Botul n’ait pas existé et il n’est donc pas à exclure qu’un jour, l’histoire rende raison à Bernard-Henri Lévy », commentait hier Frédéric Pagès ».
Pourtant, en parlant de mystification et de piège BHL noie le poisson soluble. C’est de bonne guerre. Cette guerre philosophique qu’il évoque dans son dernier livre (pour l’heure) et dont il est un ardent petit soldat. Comme disait un commentateur sur Facebook : « Pendant la guerre de philosophie, BHL a attrapé le BOTULisme en ouvrant sa ration de combat. »
Dès le début de cette histoire Pagès a pourtant été clair : « Moi ça me fait énormément plaisir en tant que président des amis de Jean-Baptiste Botul qu’un de nos plus grands philosophes contemporains cite notre philosophe adoré, malheureusement il n’a pas existé, mais enfin ça c’est un détail de l’histoire et on pourrait dire un dégât collatéral.
Il suffit d’ailleurs d’un seul clic sur Google pour voir écrit la phrase « Jean-Baptiste Botul est un philosophe fictif ». Alors je ne sais pas si BHL a Internet ou pas. Nous on ne tend des pièges à personne. On n’a absolument pas voulu piéger BHL.
Il a pris le livre qui s’appelle La vie sexuelle d’Emmanuel Kant. A mon avis il l’a lu un petit peu vite et il n’ a pas peut-être compris toutes les nuances et les subtilités de ce petit livre. Je pense que Bernard Henri Lévy a tendance à lire très très très vite. Il est tombé dans le panneau tout seul comme un grand, sans qu’on ait besoin de le pousser » explique Pagès sur Europe 1.
J’aurais bien voulu poser quelques question à Frédéric Pagès pour qu’il nous parle de cette affaire pas si anecdotique. Mais hier c’était le bouclage au Canard et, de plus il a été énormément sollicité. Mais voici un extrait du mail que je viens de recevoir :
« Chers amis, Dans l’impossibilité de répondre personnellement à chacun d’entre vous....selon la formule consacrée...voici un mail forcément collectif pour saluer comme il se doit l’apothéose que nous vivons depuis lundi. Vous l’avez constaté : c’est un déferlement médiatique comme jamais nous n’en aurions revé dans nos songes les plus fous ...
Mon portable a été saturé non seulement par les amis, mais par les journalistes, non seulement français mais anglais, américains et italiens. C’est un éclat de rire mondial...
Canal Plus, LC1, Europe, RTL etc. se sont précipités, tout à la joie de pouvoir enfin taper sur l’idole qu’ils ont encensée pendant des années »...
Après avoir foutu la philosophie par derrière, BHL est foutu par Botul. Par derrière aussi. C’est de bonne guerre philosophique.