La raison du gourou est toujours la meilleure

par minijack
mardi 13 juin 2006

Richard Stallman, le célébrissime auteur de la licence GNU, pourfendeur du brevet logiciel et champion du « libre », s’est fait proprement éconduire par Matignon. La communauté du Net déplore que le Premier ministre Dominique de Villepin n’ait pas jugé utile de recevoir le gourou mondial de la gratuité numérique... Faut-il vraiment s’en émouvoir ou s’en réjouir, ou même seulement s’en étonner ?

Depuis des jours on annonçait l’événement.
Cette fois, ça y était !
Samedi 9 juin, sur le trottoir près de l’Hôtel Matignon. Un groupe de croyants bien décidés accompagne un fort Américain barbu et jovial, genre ZZ Top, à un rendez-vous qu’il n’a pas, pour défendre une position qu’il n’a pas, sur un sujet dont il se goberge royalement !

A l’entrée de l’Hôtel Matignon, le groupe est arrêté par le service de sécurité qui signifie, gentiment mais fermement, à l’ambassadeur du "monde libre" que le Premier ministre ne le recevra pas.
Déception.
Vexation.
Contestation.

Comment ? Lorsque B.G. vient à Paris, il est reçu comme un chef d’Etat et on laisserait dehors THE champion du logiciel libre ?!!... La République française accorderait des préférences au Kapitâl ?... Le pays des droits de l’homme ferait un affront à la Liberté ?!...
Concertation.
Décision.
Exécution.

On va voir ce qu’on va voir ! Le gourou est là ! Les photographes convoqués aussi !
Aussitôt dit, aussitôt fait : on allonge sur le trottoir les quinze mètres de listing contenant les 165 000 signatures de la pétition réclamant la suppression de "l’urgence" et le retrait de la Loi DADVSI.
Impressionnant !
Amusant...
Dégradant !

C’est drôle comme les choses peuvent changer d’un coup. Un malencontreux coup de vent et hop, voilà notre sympathique ZZ Top à genoux pour retenir comme il peut le papier qui s’envole... Celui qui devait porter au plus haut le symbole d’une contestation légitime se retrouve à l’appliquer de son mieux au plus bas, au ras du sol... Que penser du ridicule de la situation ?
Inesthétique.
Dramatique.
Pathétique.

Dominique de Villepin a réussi, bien involontairement sans doute, à ridiculiser la contestation. Un qui a dû bien rire, c’est le ministre de l’acculture RDDV. Mais qu’il se dépêche d’en rire avant que d’en pleurer. Ce rire pourrrait bien lui rester dans la gorge !

La venue à Paris du gourou du logiciel libre n’est pas innocente, et un vent de liberté souffle chaque jour sur le Net une nouvelle religion : celle de la gratuité. Et c’est une religion dangereuse !

Chacun sait que rien n’est complètement gratuit en ce monde, que ce soit produits ou services, il faut bien un jour payer ses factures d’une manière ou d’une autre. En dollars, en roubles, en euros, voire en sel dans certaines communautés autarciques, mais il faut toujours payer.
La plupart des Français sont d’ailleurs d’accord, selon certains sondages récents, pour rémunérer les créateurs qui publient leurs oeuvres sur le Net. Mais le projet de loi DADVSI, prétendument voté pour protéger les auteurs du copillage internautique et expurgé de la licence globale si gênante pour les majors, a levé un vent de fronde chez les nouveaux sectateurs du "tout-libre". Leur grand gourou les y a lui-même encouragés en déclarant crûment dans une interview à pcinpact.com :" J’essaie d’entraîner tout le monde à accorder plus de valeur à la liberté. Je ne suis pas complètement contre le droit d’auteur. Je ne propose pas son élimination complète. Mais tout le monde doit avoir la liberté de la diffusion non commerciale des copies exactes de n’importe quelles œuvres publiées."

Monsieur Stallman est sans aucun doute un homme supercompétent en matière de logiciels informatiques collaboratifs et de partage de l’intelligence numérique, mais il n’est jamais sorti de son esprit pourtant si brillant une quelconque composition artistique, musicale ou littéraire, réalisée à titre individuel. De ZZ Top loin d’avoir le talent, il n’a que l’apparente broussaille qui lui sert de cravate, et ce grand esprit mathématique n’a visiblement pas pris conscience de la portée de tels propos sur ses fans...
Dire qu’on n’est "pas complètement contre" le droit d’auteur, c’est déjà dire qu’on l’est en grande partie. Poursuivre, dans la même phrase, en précisant qu’on est "pour la liberté complète de diffusion de copies exactes d’oeuvres publiées", c’est achever la destruction de ce droit vital pour les créateurs.

Mais les DRM sont par nature inacceptables, et seront naturellement contournés, quoi que risquent les fraudeurs. L’interopérabilité réelle ne sera jamais garantie par des barrières numériques. Dès lors, à quoi rime DADVSI ?

Plus on attend, plus on radicalise les positions, et plus la solution au problème délicat du droit d’auteur devient inextricable.
Il est grand temps de retirer cette loi infâme, et de remettre sur la table le droit des auteurs sur leurs oeuvres numériques, plutôt que de favoriser outrageusement les droits industriels voisins.


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