La recherche du « buzz », déliquescence du journalisme

par antennerelais
mardi 6 avril 2010

Vincent Peillon plaide sur Canal+ pour une meilleure redistribution des richesses au moyen d’une « grande réforme fiscale » (en clair, faire davantage payer les plus riches). La journaliste, elle, cherche un « buzz » sur l’ISF.

Vincent Peillon était dimanche 4 avril invité de l’émission Dimanche+ (C+) animée par la journaliste Anne-Sophie Lapix.

Peillon : « nous sommes un des pays les moins redistributifs  » (Canal+, 04/04/10) 

Après qu’ait été traité le sujet du bouclier fiscal, la journaliste demande à Peillon (à 1’30 de la vidéo ci-dessous) :

« certains en profitent pour demander la suppression de l’ISF, et en contrepartie une nouvelle tranche d’imposition plus haute, est-ce que c’est une bonne idée ? »

Peillon rétorque :

« la bonne idée cela va être de remettre un peu de justice dans tout notre système fiscal, je suis partisan d’une grande réforme fiscale. On a (...) l’explosion des très hauts salaires, des écarts qui s’accroissent, et des gens qui ont gagné beaucoup d’argent (...). »

La journaliste ne lâche pas le morceau (à 2’24) :

« la suppression de l’ISF c’est inenvisageable pour vous ? »

Peillon :

« c’est assez marginal par rapport à la question qui est celle de remettre de la progressivité, donc fondre l’impôt sur le revenu et la CSG, faire des tranches supérieures d’impôt sur le revenu qui correspondent à quelque chose, nettoyer ces niches fiscales qui permettent aux plus riches de ne pas payer, et si on trouve un système intelligent, pourquoi pas. »

Il ajoute aussitôt :

« Mais faisons attention, (...) on s’intéresse toujours aux détails, aux choses très politiciennes et pas au fond. »

Trop tard.

Moins d’une heure après, LeFigaro.fr titre, reprenant une dépêche AFP :

Suppression ISF : "pourquoi pas" (Peillon)

Puis 20minutes.fr :

Vincent Peillon n’est pas contre la suppression de l’ISF

Puis d’autres comme NouvelObs.com :

La suppression de l’ISF : "Pourquoi pas", répond Vincent Peillon

Avec là en plus une erreur de retranscription, avec cette citation : « si on trouve un système intelligent, pourquoi pas, mais faisons attention ». Or comme on l’a vu plus haut, le « faisons attention » de Peillon renvoyait non à la suppression de l’ISF, mais au fait de « s’intéresser toujours aux détails, aux choses très politiciennes » (en l’occurrence l’ISF), et pas « au fond ».

Bref, alors que Peillon a plaidé pour la nécessité de faire davantage payer les plus riches, différents relais de presse mettent par leurs titres les pleins feux sur un élément secondaire (quoique symboliquement important), accréditant aussitôt dans l’esprit du lecteur pressé (tout un chacun sur le net) l’idée que Peillon veut favoriser les riches. Soit l’inverse exactement de ce qu’il a défendu plusieurs minutes durant !

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Comme on avait pu le remarquer déjà en conclusion d’une précédente étude, la "recherche de buzz" ne vise pas prioritairement à informer, mais à attirer l’attention sur soi émetteur (ou relayeur) du "buzz".

Un médecin qui ne viserait pas d’abord le bien de son patient, mais sa propre publicité ; un enseignant qui ne viserait pas d’abord l’essor et les progrès de son élève, mais on ne sait quel profit personnel : ces gens seraient aussitôt méprisés, blâmés. Ne devrait-il pas en être ainsi, pour un journaliste "recherchant le buzz" ?

Sans doute le journaliste précaire employé par tel site de presse en ligne a des circonstances atténuantes. Mais une journaliste en vue, à la sécurité de l’emploi assurée et ceci aux meilleurs postes, au salaire conséquent, à la popularité lui permettant sans doute de préserver une indépendance, voire une certaine exemplarité dans la conduite de son métier : cette journaliste se devrait de ne pas "rechercher le buzz" !

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