La réforme de l’audiovisuel public rejetée par les députés (en première lecture)
par Sylvain Rakotoarison
mardi 1er juillet 2025
« Nous partageons, je crois, l’ambition d’un service public fort, mais non la méthode ni la direction. Derrière cette réforme, il y a des hommes, il y a des femmes : journalistes, techniciens, producteurs, personnels administratifs, pigistes, intermittents. Ils s’inquiètent à juste titre ; ils savent à quel point leurs missions sont précieuses et fragiles. France Télévisions et Radio France innovent, dominent les audiences, renforcent leur présence numérique et font des économies depuis plusieurs années. Le travail des équipes au sein des territoires, pour une information de proximité, est incomparable ; celui de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) sur les archives, remarquable. (…) Ce débat dépassera les simples enjeux d’organisation interne : il touche à notre contrat démocratique. On ne construit pas l’avenir en détricotant ce qui fonctionne. Nous devons être fiers de notre audiovisuel public ; il mérite une vision partagée, un cap clair, la confiance accordée à celles et ceux qui, tous les jours, le font vivre. » (Fatiha Keloua Hachi, députée PS et présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, le 30 juin 2025 dans l'hémicycle).
On connaît l'objectif de Rachida Dati, ancienne Ministre de la Justice et actuelle maire du septième arrondissement, en entrant au gouvernement de Gabriel Attal en janvier 2024 comme Ministre de la Culture : se dépêcher de faire la réforme de l'audiovisuel public (j'explique plus loin de quoi il s'agit) pour laisser sa marque culturelle et pour pouvoir être libre en été 2025 et se préparer à faire sa campagne municipale à Paris pour mars 2026, son ambition ultime étant d'être maire de Paris et elle est la favorite à cette prochaine élection, soutenue certainement par le socle commun.
En restant Ministre de la Culture sous Michel Barnier puis sous François Bayrou, Rachida Dati a déjà réussi un petit exploit politique (combien de ministres actuels l'étaient-ils en janvier 2024 sans changer d'attribution, à part Sébastien Lecornu ?).
Et pourquoi cette réforme de l'audiovisuel public ? Pour Rachida Dati, c'est la manière de marquer son passage rue de Valois. Un marquage idéologique. Car quelle est la réforme de l'audiovisuel public actuelle ? Il s'agit d'abord d'une proposition de loi déposée par un sénateur centriste, Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, au Sénat, le 21 avril 2023, relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle. Cette proposition a été adoptée le 13 juin 2023 en première lecture par les sénateurs. Son passage à l'Assemblée Nationale a été difficile en raison de la dissolution le 9 juin 2024.
La proposition de loi a en effet été étudiée en commission les 14 et 22 mai 2024, puis les 17, 18 et 19 juin 2025. Il était d'ailleurs difficile de trouver un créneau pour son examen en séance publique, c'est fut fixé à cette semaine, le 30 juin et le 1er juillet 2025.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de regrouper les entreprises de l'audiovisuel public sous la houlette d'une société holding appelée France Médias : « La société France Médias est chargée de définir les orientations stratégiques des sociétés France Télévisions, Radio France et Institut national de l’audiovisuel, dont elle détient directement la totalité du capital, et de veiller à la cohérence et à la complémentarité de leurs offres de programmes au service des missions définies à l’article 43 11. Elle est chargée en outre de préparer la fusion-absorption de ces sociétés. Pour l’accomplissement de ses missions, elle conduit des actions communes et définit des projets de développement intégrant les nouvelles techniques de diffusion et de production. ».
Le texte de la commission du 15 mai 2024 a été légèrement modifié par la même commission du 17 au 19 juin 2025. Je ne devrais pas écrire la "même commission" car elle a été renouvelée par des élections anticipées entre-temps. En particulier pour la date de sa mise en vigueur, prévue initialement au 1er janvier 2025.
Parmi les modification, il y a l'une des missions, la « définition par la société France Médias des orientations stratégiques de ses filiales en garantissant le respect de leur indépendance et de leur liberté éditoriale ». Feraient partie de cette holding France Télévisions, Radio France et l'INA (Institut national de l'audiovisuel) qui prendrait le statut d'une société anonyme.
Dans l'article 3 de la proposition de loi, il est indiqué que le conseil d'administration de France Médias est composé du président-directeur général et de quatorze membres dont le mandat renouvelable est d'une durée de cinq ans. Parmi ces quatorze membres, il y a « cinq personnalités indépendantes nommées par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) en raison de leur compétence, dont l’une est chargée de veiller à l’impartialité, à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information ».
L'élément le plus important est celui-ci : « Le président de la société France Médias Monde est également président, président-directeur général, directeur général ou président du directoire de chacune des sociétés éditrices de programmes filiales de cette société. ». Cela signifie que le mandat des présidents actuels de France Télévisions, Radio France et l'INA serait interrompu le 1er février 2026, pour une mise en vigueur de la réforme prévue le 1er janvier 2026 (article 8). C'est pour cette raison que cette réforme inquiète particulièrement les salariés de Radio France qui se sentiraient absorbés par France Télévisions alors que ces deux sociétés sont très différentes avec des métiers et des missions très différents.
Le choix du nouveau grand patron de l'audiovisuel public se ferait par l'Arcom : « Le président-directeur général de la société France Médias est nommé pour cinq ans par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, au terme d’une procédure transparente, ouverte, effective et non discriminatoire arrêtée par délibération de l’autorité. Cette décision est prise à la majorité des membres qui composent l’autorité. Cette nomination fait l’objet d’une décision motivée se fondant sur des critères de compétence et d’expérience. Les candidatures sont présentées à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et évaluées par cette dernière sur la base d’un projet stratégique. ».
En outre, dans le cas d'une erreur de casting : « Il peut être mis fin au mandat du président-directeur général de la société France Médias par décision motivée de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. Cette décision est fondée sur des éléments de nature à compromettre la capacité de l’intéressé à poursuivre sa mission dans des conditions garantissant le bon fonctionnement de la société, la préservation de son indépendance ou la mise en œuvre du projet stratégique pris en compte lors de sa nomination. Cette décision est prise à la majorité des membres de l’autorité. ».
La gauche est très fermement opposée à cette réforme car elle considère que cela préfigurerait une privatisation de France Télévisions et de Radio France. Or, une telle privatisation fait partie du programme du Rassemblement national depuis au moins 2024. Au contraire, Rachida Dati a expliqué que le rassemblement sous une même direction et présidence de tout l'audiovisuel public rendrait plus difficile sa privatisation car aucun intérêt privé ne serait prêt à acquérir tout l'ensemble. On peut cependant s'étonner du retour à l'ORTF alors que justement, la libéralisation de l'audiovisuel public à partir du début des années 1970 avait fait éclater en entités indépendantes les différentes chaînes de télévision et stations de radio.
L'éditorialiste Patrick Cohen expliquait le 18 juin 2025 sur France Inter que c'était même un retour en arrière plus ancien que l'ORTF : « On ne peut même pas parler du retour de l’ORTF, puisqu’il faut remonter à 1963, avant l’ORTF, pour trouver trace d’un directeur de l’information unique, radio et télé d’État. Et à l’époque, il n’y avait qu’une chaîne… ». Lorsqu'il était Ministre de la Culture, Franck Riester, premier porteur du projet de France Médias, rejetait la comparaison avec l'ORTF.
Défendant la motion de rejet préalable, la députée écologiste Sophie Taillé-Polian a rappelé le 30 juin 2025 quelques performances à saluer : « Le budget de l’audiovisuel public est pratiquement au même niveau qu’en 2008, à ce détail près que sont passés par là 32% d’inflation, ce qui signifie que les médias publics, en vingt ans, ont été amputés du tiers de leurs capacités financières. (…) Quelle entreprise privée ayant perdu le tiers de ses capacités budgétaires serait capable de rivaliser avec nos médias publics ? Premier groupe radio en termes d’audiences, premier groupe télé en termes d’audiences, premier site internet d’information, Franceinfo.fr, de notre pays ; un podcast sur deux écoutés en France est produit par Radio France ; France Inter a gagné cette année 500 000 auditeurs, France Culture, en un an, 23% d’audience chez les moins de 35 ans ! Avec France 3, France Info et France Inter, le service public de l’audiovisuel occupait en 2024, devant "Le Monde", le podium des médias français en matière de qualité et de confiance dans l’information. Je pourrais vous citer une litanie de chiffres montrant que l’audiovisuel public fait déjà tant avec si peu. En Europe, seule la BBC, peut-être, réalise de meilleures audiences ; et si vous étiez sincère, madame la ministre, lorsque vous parlez de "BBC à la française", vous ajouteriez que la BBC dispose d’un budget deux fois supérieur à celui de l’audiovisuel français, si vous étiez sincère, vous vous engageriez à sortir le carnet de chèques. (…) Si l’audiovisuel public français, par la force de ses audiences et la qualité de ses offres, se révèle l’un des plus solides du paysage européen, c’est d’abord grâce à l’incroyable engagement de ses personnels, qui croient profondément au métier de journaliste, à l’exception culturelle française, les deux missions principales de service public audiovisuel. ».
Impacté forcément par la réforme puisque chroniqueur de Radio France, Patrick Cohen essayait de la comprendre le 18 juin 2025 : « La raison d’être de la holding serait de mieux armer l’audiovisuel public. Face à la concurrence des géants du numérique. Face à la désaffection des jeunes et des publics populaires. Contre la désinformation… Les constats sont aussi indiscutables que le raisonnement contestable. On ne voit pas bien en quoi un commandement unique permettrait de mieux répondre à tous ces défis. Il y a l’idée, répétée, que l’union fait la force, qu’une stratégie convergente est plus efficace qu’une offre diversifiée, mais ce n’est pas vraiment démontré. Sur le numérique par exemple, Radio France n’a pas attendu que la télé lui prenne la main pour amorcer ce virage : 85 millions d’écoutes par mois, près de la moitié des podcasts téléchargés en France sont des programmes Radio France. ».
Alors, on peut toujours s'étonner de l'adoption de la motion de rejet préalable dès le début de l'examen en séance publique à l'Assemblée Nationale, ce lundi 30 juin 2025. Car elle a été adoptée par 94 députés sur 132 votants, et seulement 38 députés ont voté contre ce rejet. Pour le rejet : 16 RN, 37 FI, 14 PS, 22 EELV, 2 LIOT, 2 PCF, 1 NI. Contre le rejet (a priori, la majorité) : 22 EPR, 6 LR, 4 MoDem, 5 Horizons, 1 LIOT.
Deux surprises : d'abord, le très faible nombre de députés de la majorité présents physiquement pour soutenir la proposition de loi (certains resteraient encore à convaincre) ; ensuite, le vote du RN en faveur du rejet (encore une fois où la gauche et l'extrême droite votent ensemble) alors qu'il serait plutôt favorable à cette réforme, faute de privatisation. Est-ce à dire que le RN pourrait voter la motion de censure des socialistes qui sera examinée ce mardi 1er juillet 2025 ? Rien n'est certain et tout reste possible avec une Assemblée aussi éclatée.
Pourtant, ce rejet préalable a une conséquence très favorable à la Ministre de la Culture. En effet, avec l'adoption de cette motion de rejet préalable (déposée par le groupe écologiste), Rachida Dati a gagné du temps avec l'accélération de la procédure. Le texte rejeté par l'Assemblée va retourner immédiatement au Sénat pour son examen en deuxième lecture. On a eu le même genre de procédure avec la proposition de loi Duplomb qui avait été dénaturée en commission.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 juin 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La réforme de l'audiovisuel public rejetée par les députés (en première lecture).
L'extinction de C8 : la loi ou la liberté d'expression ?
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La BBC fête son centenaire.
Franck Riester : France Médias ne sera absolument pas l’ORTF.
Publiphobie hésitante chez les députés (17 décembre 2008).
Pub à la télé : la révolution silencieuse (2 septembre 2008).
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