Le cinquième pouvoir, mythe ou réalité ?

par pazuzu
mercredi 11 juillet 2007

Il est communément admis que le cinquième pouvoir est l’organisation citoyenne pour contenir les autres pouvoirs. Ce cinquième pouvoir s’exerce principalement par internet. L’élan du « non » au projet de Traité constitutionnel européen, massivement diffusé par le web, en est une parfaite illustration.

Le Petit Larousse (1996) définit le pouvoir comme la capacité, possibilité de faire quelque chose, d’accomplir une action, de produire un effet.

On vient de le lire, la détention d’un pouvoir « devrait » permettre, en l’exerçant, de parvenir à des résultats. Ce cinquième pouvoir devrait restreindre les éventuelles dérives des quatre autres pouvoirs, faute de quoi, il n’en est pas un. En tant que contre-pouvoir, il agit préventivement contre les autres. A titre d’exemple, rares sont ceux qui n’ont pas visité le site personnel d’Etienne Chouard, ce professeur de droit qui a été l’un des premiers à alerter l’opinion publique sur certains aspects du projet de Traité constitutionnel européen http://etienne.chouard.free.fr/

Son analyse, très précieuse pour les électeurs, a fait l’objet d’un buzz redoutable. Je n’oublie bien évidemment pas d’autres acteurs très actifs dans la diffusion d’informations sur les passages litigieux de ce projet.

Un autre exemple, bien connu, illustre la force de frappe du cinquième pouvoir. Qu’on adhère ou pas aux thèses du journaliste Thierry Meyssan, sa position concernant l’implication de l’Etat américain dans la catastrophe 11 septembre a fait le tour du monde. Qui n’a pas vu un film contredisant la thèse officielle ?

La simplicité d’internet, sa rapidité, combinées à une analyse méticuleuse d’un dossier, font la force du cinquième pouvoir, mais révèlent aussi ses limites, c’est-à-dire ce qu’il ne sera jamais, un véritable cinquième pouvoir.

Un pouvoir doit avoir la capacité d’analyser l’actualité en temps réel, de traduire le sens de cette information et de la diffuser rapidement. Il a, par ailleurs, besoin de sources multiples et fiables. Enfin, sa liberté d’expression doit être totale.

Pour des raisons économiques ces trois critères ne sont pas encore réunis.

L’organisation citoyenne est bénévole et non professionnelle. Il en découle que son temps d’engagement est limité, son travail d’enquête est limité, son accès aux sources est limité. Il n’est pas un seul débat d’actualité qui ne puisse être traité objectivement sans accès à une source fiable. Je me permets de citer l’exemple d’Agoravox. Si ce site est un espace d’expression sans pareil sur le net, le travail des rédacteurs, y compris le mien , montre ses limites. Une grande partie des articles reprennent une information publiée ici ou là, mais enrichie d’une analyse ou d’un point de vue du rédacteur. Or, un rédacteur peut être mal préparé à interpréter une information dont il ne maîtrise pas la source ou ne la connaît pas. Si on postule qu’un grand journal publie une information incomplète ou « aseptisée », et que cette information est reprise par un rédacteur, il n’en demeure pas moins qu’on s’éloigne du réel. Plus l’information sera reprise, plus on s’éloignera du réel. Le cinquième pouvoir en est réduit à exploiter des sources de seconde main. Il faut une accréditation pour accéder aux services d’information des ministères, des grands groupes et des institutions internationales.

Si ce rédacteur a puisé des informations sur des sites « critiques » ou « alternatifs » pour étayer son argumentation, il ne fait que reprendre l’argumentation d’un autre. Et malgré le fait que sa source internet semble très fiable, elle n’est qu’un écran, et il ne touche pas le papier, l’original, comme un vrai journaliste.

Le cinquième pouvoir ne peut que très difficilement, en l’état, informer de façon objective sur les grandes questions mondiales ou nationales.

Qui peut enquêter sur ce qui se passe vraiment au Proche-Orient ? Au Venezuela, à Cuba ? Sur la Tchétchénie ? Qui peut enquêter sur le combat que se livrent la Chine et les Etats-Unis au Darfour ?

Un pouvoir qui prétendrait devenir un pouvoir depuis son seul écran d’ordinateur, est-ce bien raisonnable ? Je laisse les lecteurs, s’ils le souhaitent, répondre à ces questions.

 

Le cinquième pouvoir est-il un simple « outil » de diffusion ou un outil « d’analyse et de diffusion » ?

Aujourd’hui, il semble n’être qu’un outil. Il deviendra un véritable pouvoir quand il aura la capacité de distinguer le vrai du faux quel que soit le sujet abordé.

Quelques pistes méritent réflexion.

Pour devenir un vrai contre-pouvoir, il me semble, l’organisation citoyenne doit constituer un réseau mondial d’enquêteurs et de rédacteurs, autour d’un site qui serait la référence dans la recherche de la vérité. Ce réseau analysera l’actualité en s’appuyant sur les sources libres et des sources indirectes. Prenons l’exemple de la grippe aviaire. Dans 90 % des cas, sa détection est dans ou à proximité d’un élevage industriel. En Europe, à part des cygnes, des oies et des canards, on ne connaît quasiment aucune autre espèce d’oiseaux atteinte par ce virus. Surtout, on cherche les cadavres de ces oiseaux sauvages. Aucune réserve naturelle en Europe n’a été touchée par cette grippe. Et pourtant, à en croire les scientifiques d’Etat, la grippe est véhiculée par les oiseaux sauvages. Il y a matière à enquêter et une telle enquête peut se faire depuis un ordinateur et un téléphone. Il suffit de dresser une carte des foyers de grippe pour s’apercevoir que les foyers ne correspondent pas aux grandes lignes migratoires, mais aux grands centres d’élevages industriels. Et justement, c’est notamment avec ce procédé que le Dr Muro a mis au jour le scandale de l’huile espagnole frelatée en 1981. L’huile n’était pas en cause, mais les pesticides absorbés par les tomates oui. Plus de 1 200 morts et, au moins, 25 000 personnes atteintes de séquelles parfois très graves. Ce docteur, décédé d’un cancer lié aux produits qu’il analysait, avait dressé la carte des marchés de grand air dans lesquels on recenserait de nouvelles victimes. Les faits lui ont donné raison. Avec peu de moyens il a pu alerter le monde sur ce que cachait le pouvoir en place.

Quel rapport entre le Dr Muro et nos oiseaux ?

Dans les deux cas, une pièce manque au puzzle, les cadavres d’oiseaux sauvages dans notre cas. Le cinquième pouvoir, un grand réseau, fort de son tissu de lecteurs et de rédacteurs au niveau national, voire plus loin, peut exerçer son pouvoir en se mobilisant pour reconstituer le puzzle. S’il s’avère qu’une pièce manque vraiment à l’appel, alors le cinquième pouvoir gagnera en crédibilité et en pouvoir.

Pour aller plus loin dans son projet de véritable contre-pouvoir, le cinquième pouvoir doit se rapprocher et s’entourer de spécialistes, de scientifiques, de journalistes d’investigation, d’économistes, etc. Il ne saurait être l’œuvre que des seuls bénévoles.

Le cinquième pouvoir est en gestation, mais il n’existe pas encore.

 


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