Le fait divers comme fait de société ou la société comme fait divers ?

par Mathias Delfe
vendredi 6 mars 2009

L’info spectaculaire, parfois croustillante, le plus souvent dramatique, concernant des personnes privées ou publiques, longtemps réservée à une presse bas de gamme pour ne pas écrire de bas étage, envahit de plus en plus, au moins dans leur édition électronique, les médias de tradition intellectuelle.
Je connais personnellement une femme qui, enfant de 10 ans il y a de cela une quarantaine d’année, excédée, avait planté une fourchette dans la tempe de son frère âgé alors de huit ans.
Bilan de la crise de nerfs ? quelques points de suture, une sévère admonestation et deux adultes qui s’adorent aujourd’hui.
Point de police ni de justice, encore moins de publicité dans la presse, même locale.
 
Aujourd’hui, un gosse de cinq ans* qui frappe sa soeur aînée d’un coup de couteau non mortel mobilise gendarmes et juges, et surtout fait la une de tous les médias, non pas locaux mais nationaux, non pas une heure mais une semaine, non pas spécialisés dans la nouvelle « à sensation », mais respectablement connus pour leur traitement de l’actualité politique, internationale et culturelle.
 
Le cas n’a rien d’un ovni capturé par les journaux tous supports en période de disette d’informations, quand les politiciens bronzent sur une plage inconnue des paparazzi, quand les cyclones sont au repos et les kamikazes en attente de la livraison d’un stock de Semtex afin de retourner au turbin.
 
Non, c’est tous les jours que le fait div’ -dont les conséquences généralement dérisoires à l’échelle des nations devraient par définition ne concerner qu’une poignée d’individus- taille des croupières à l’information nationale et internationale d’ordre politique, économique, social et culturel qui intéresse la grande majorité si ce n’est la totalité des citoyens.
 
Encore cette passion pour le fait divers serait-elle révélatrice d’un certain état de la société, on comprendrait l’insistance mise à la propager, mais, ainsi que je l’ai relaté en préambule, des gamins ou des adultes qui frappent violemment d’autres gamins ou adultes, des parents indignes qui sadisent leur petit en l’enfermant des années durant dans un placard, des starlettes qui abusent de cocktails d’alcool et de neuroleptiques, des animateurs de télé paranoïaques qui tyrannisent leur entourage ou des amoureux déçus changés par la rupture en anthropophages, ça n’est pas franchement nouveau, c’est même vieux comme le monde (enfin, disons celui de ces 50 dernières années).
 
Donc, puisque ni la nature ni la fréquence du fait divers ne sont symptomatiques de la situation sociale –ou pas spécialement- d’où vient l’intérêt immodéré qu’il suscite ?
Du souci du pouvoir médiatico-politique de détourner l’attention des masses des véritables enjeux de société pour fixer cette attention sur des phénomènes anecdotiques que lesdites masses, à force de « promotion », finissent par supposer primordiaux ?
De la tentative désespérée d’une presse « de qualité » financièrement aux abois de capter l’attention du spectateur-lecteur en flattant le goût de celui-ci –supposé primaire par définition- pour la proximité, l’identification, le sang et l’affectif (au sens large, incluant la méchanceté comme la charité) au détriment de ces entités lointaines, perçues à la fois comme désincarnées et comme la chasse gardée d’une élite formée à les maîtriser, que sont le discours politique, les structures de gouvernement ou la conjoncture internationale ?
 
Un peu des deux, sans doute, dans la mesure où se rencontrent dans le creuset légèrement fétide du fait div’ monté en sauce l’intérêt politique d’un pouvoir qui cherche à faire oublier son impuissance et l’intérêt financier des médias qui génèrent davantage de pub avec de la chair fraîche qu’avec de l’esprit, les deux s’appuyant sans vergogne sur l’émotivité toujours, la bassesse parfois, de masses que l’un comme les autres prétendent « éduquer ».
 
*le fait que l’agresseur fût en réalité la mère ne change rien au problème, mieux, il ne fait que redoubler l’épaisseur de la « mousse » produite à ce propos tout en pointant pour qui s’en inquiète la précipitation inconséquente des rédactions.

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