Le foot à la télé, que c’est bête !
par Bernard Dugué
mardi 10 juin 2008
L’Euro 2008 vient de commencer, l’occasion de s’interroger sur le statut de ce sport lié à une culture, bien ancré dans la société, avec des médias disposés et dévoués envers ce spectacle des plus prisés par le bon peuple et les élites.
Le foot n’a pas bonne presse auprès des intellectuels. On le comprend. Il suffit d’écouter parler les footballeurs ou bien d’entendre les commentaires pendant les matchs. Il faut dire que ce n’est pas facile d’être intéressant en rapportant les phases de jeu sur un terrain. Cet exercice permet de reconnaître les artistes du propos sur le ballon rond. Thierry Roland qui peut mourir tranquille après la victoire des Bleus en 1998 et Thierry Gilardi, qui est mort, mais n’aurait pas pu mourir tranquille vu que les Bleus ne sont pas prêts de gagner à nouveau une Coupe du monde. Sur la Six ce 9 juin 2008, les Bleus ont disputé, en présence de deux fades commentateurs, deux, la coupe de l’ennui.
Malouda… Ribery… Hoooo, ouais… Les Roumains ont récupéré la balle… Vilain geste… Il était trop loin l’arbitre… Ribery… Abitbol… Malouda… A droite, Anelka… C’est maintenant qu’il faut centrer… Oooooo… Trop haut. Les Roumains reprennent le champ… Nielscu… Bilescu… Chocescu... Ooooo le vilain geste, attention il a déjà un carton jaune, que va faire l’arbitre… Non, c’est son frère qui a le carton. Coup franc, ouuuuuu… Bien envolé, dommage. Il faut cadrer les tirs. Attention ! Ouuuuu… Grosse erreur. Allez, faut y aller, phase de jeu, à droite… Ooooo… Vilain geste. Vas-y, tape dans le tas… Contre, ballon repris, Malouda… Anelka… Anelka, Ribery, joli geste… Passe… Allez, accélère, là-bas, il est décalé… Ouaaaahhhh, dommage, il manquait deux mètres. Faut mettre le paquet. Maloudaaaa… Anelkaaaa… Riberiiiiii… Ouiiiiiii… Oooohhhhh !!! Malouda… Ri… bzz…bzz…
Bon, je ne me prononcerai pas sur cette épineuse question linguistique. Une étude approfondie devrait permettre de comparer la richesse sémantique des commentaires de foot et d’un film classé X. Le foot n’a jamais été un lieu où l’on fait état d’une réflexion métaphysique ni sociologique. Ce n’est qu’un divertissement assez simple, avec des joueurs bien visibles, un champ d’opération étendu et la possibilité d’apprécier les fameux gestes techniques. Notamment ceux qui font entrer la balle dans le but et non pas la bite dans le trou de balle comme dans le X. Le foot est moins délassant qu’un film X pour ceux qui sont passionnés et supportent une équipe. C’est d’ailleurs le principal ressort du succès de ce jeu offrant à une partie de la population un prétexte à converser dans les bistrots, les réunions de familles avec les beaufs, face à la machine à café au boulot. Une occasion de se rassembler dans un pub devant un écran plat ou, mieux, de vibrer au rythme des chants de supporters sur des textes d’une incroyable subtilité. Celui qui ne saute pas n’est pas Niçois ! Celui qui ne saute pas n’est pas Lyonnais ! Allez les Bleus, allez les Bleus ! Allez les Verts, allez les Verts !
Le foot, il n’y a pas grand-chose à en dire. Peu d’ouvrages critiques ont été publiés. Parce que l’affaire est pliée en deux temps trois mouvements de neurones. Le foot relève de l’exutoire, du divertissement, de l’ivresse des foules, du pseudo-religieux et, comme tout jeu qui se respecte, le foot détourne des problèmes, capte l’attention et permet d’oublier le quotidien. Sans nécessiter un quelconque effort intellectuel. Surtout derrière son écran plat où le con de téléspectateur est sollicité pour répondre à des questions d’une platitude abyssale, du genre qui a gagné la Coupe du monde en 1998, la France tapez 1, l’Allemagne tapez 2 ; les mêmes questions qu’on pose chez Lepers, Nagui ou Foucault, pour gagner un écran plat ou une voiture 4 places. Le foot, c’est la rencontre des idiots, c’est la fierté des sans-grades, la revanche des illettrés, des mal-b..., ça fait oublier une vie d’ennui, ses chiards de mômes recalés du collège, avachis comme leur père devant l’écran et la bobonne en charentaise. Ah, les clichés ont la vie dure. Les supporters de foot ne sont quand même pas tout des beaufs avinés, et même des gens bien en costard, mais le foot, ça reste sur le fond sacrément bête.
Il faut un temps ou quelques esprits, comme Bernard Pivot, et quelques personnalités comme Rocheteau, Bats, Platini et autres Cantona, savaient donner un peu de piment à ce sport qui avait gardé son aspect populaire au bon sens du terme. Une connivence, une sorte d’humanité faite de fantaisies dans le jeu, d’imperfections et d’écarts de langage, donnant un côté profondément humain à ce sport. Maintenant, le foot est devenu pour le peuple une kermesse encadrée et pour les dirigeants un prétexte à faire carrière de notable, avec les cadres sportifs qui n’ont rien à envier aux cadres des grandes entreprises. Bien payé, bien considérés. Le foot, un prétexte aussi pour le rayonnement des politiques. Faut les voir dans les tribunes, se montrer, comme des dignitaires venus afficher leur gloire passagère, ivresse du jeu, ivresse du pouvoir. Et bien évidemment cet argent qui coule à flot. Le foot étant une drogue légale, l’argent du foot rivalise pratiquement avec l’argent de la drogue. Il faut dire que les accros sont plus nombreux que ceux en attente d’une ligne de coke ; qui stérilise l’intelligence, comme le foot d’ailleurs.
Pour le citoyen lettré, le plus gros scandale du foot, c’est ce jeune buteur de ligue 1 payé 50 000 euros par mois pour taper dans un ballon, roulant en Ferrari ou en Porsche, alors que le chercheur contre le cancer gagne 20 fois moins. Il y a quelque chose d’indécent à voir ces joueurs de pieds qui causent comme des pieds gagner ces sommes faramineuses et ces politiques désireux d’aménager la fiscalité au bénéfice de ces pur-sang qui se négocient sur le mercato, mais pas à Deauville. Le foot ça rend bêtes les politiciens. Mais ça crée du lien social artificiel. La rencontre entre le virtuose des pieds qui roule en Ferrari et le plouc qui roule en vieille 205. Les deux partagent un vocabulaire commun. La revanche des illettrés. C’est de bonne guerre, les intellectuels ont été méprisants naguère. D’ailleurs, notre époque est à la guerre du mépris. Mais, comme l’argent coule, le foot doit rester clean. En costume-cravate, nos entraîneurs de foot et nos joueurs pour une présentation officielle. Crâne rasé ou coupe militaire pour les footballeurs sur le terrain. Fini les longues chevelures d’antan. Le football est une métaphore du champ de course et de l’ordre militaire, militaro-industriel. Le foot une industrie pour satisfaire les masses et pour les plus extrémistes dans la pensée, le foot est une métaphore du nazisme. C’est exagéré d’affirmer cela, bien qu’il y ait quelques connivences. Beckham est le bon copain de Bono. La rencontre entre deux super-célébrités, l’une de la méga-industrie du disque, l’autre du foot. Le spectacle et le fric. Même si les chansons de Bono sont plus élaborées.
Pour l’instant, le foot et cette sollicitude envers ces joueurs de pieds m’indiffèrent. Le succès en J’aime le beau jeu. Il y en a eu avec le Portugal, l’Allemagne et surtout les Pays-Bas. Le reste guère plus passionnant qu’une émission de Mireille Dumas. La vie des stars et des célébrités ne m’intéresse pas. Après tout, soyons fous et prenons la chose avec légèreté. Ce n’est pas désagréable de regarder de temps en temps une belle partie. Il suffit juste de couper le son pour ne pas entendre les commentaires. Se laisser bercer par une esthétique du geste, un enchaînement de passe et parfois la balle au fond du filet. Et puis, ne jamais regarder les émissions sur le foot, ni écouter les joueurs parler. Parfois, on s’amusera de cette folie douce s’emparant des supporters un soir de victoire. Il n’était pas dit que le foot devienne un terrain d’expression de la bêtise, mais c’est comme ça. On peut y voir le signe d’une évolution récente en phase avec la bêtise galopante chez un Cauet, un Sébastien et même un Ruquier ou avec Gérard Miller, la bêtise se fait à bac plus 3 et devient méchante. Les chanteurs interviewés dans les émissions de grand public ne sont guère plus prolixes en vocabulaire que les numéros 10 virtuoses sur le terrain, mais bien démunis quand il faut causer. Il faut dire que le foot, c’est après tout une sorte d’art. La musique, ça s’écoute, ça ne se déguste pas avec des discours qui vite deviennent creux, mais pas autant que les bêtises échangées par des bobos lors d’un vernissage contemporain. N’accusons par le foot qui n’est pas responsable, mais seulement un prétexte où bêtise s’exprime et se dévoile, traduisant un trait universel du genre humain. La bêtise, comme le rire, est le propre de l’homme. Et, si nous voyons cette bêtise s’afficher, c’est parce que nous portons tous en nous un peu de cette bêtise sans laquelle nous ne saurions la déceler à travers ce spectacle de foot médiatisé et nous renvoyant à nous-même. A l’ère du Second Empire finissant et de la IIIe République naissante, la bêtise était aussi répandue, mais, faute de médias, il fallait tout le talent littéraire d’un Flaubert pour la mettre à jour à travers les Bouvards et Pécuchet.
Pourquoi le ballon rond est-il devenu prétexte à tant de bêtise ? La solution de l’énigme repose sans doute sur une analyse des médias, du monde du fric, du monde de la gestion, du monde du formatage qui a fait de cette fête du ballon rond un événement cadré et sérieux. C’est cela, en vérité, avec le rôle des journalistes sportifs qui, question bêtise, s’y connaissent, étant formés pour poser des questions idiotes et formuler des remarques stupides. Le foot a donc révélé autant la bêtise basique que le surcroît de bêtise apporté par le monde de la télévision. Ce monde qui maintenant, se met à gloser jusqu’à perdre la voix sur le mercato des animateurs et notamment le remplacement de PPDA au JT. L’enquête se termine. La télé est le lieu où s’amplifie la bêtise contemporaine. Un lieu où l’on est près de ses sous car le marché de la bêtise est infini.