Le Pen, les vaches et les Arabes : L’Express snobe Oumma ?

par Douglas Barr
jeudi 26 août 2010

Ça y est : Jean-Marie a dérapé ! On va enfin pouvoir oublier un peu les sujets qui fâchent, le chômage en hausse, l’affaire Woerth, l’accord Delanoë-Sarkozy pour sauver Chirac... Si Jean-Marie n’existait pas, vraiment il faudrait l’inventer ! Cet épisode médiatique révèle surtout un manquement à la déontologie du site de L’Express, qui s’est accordé la paternité du « scoop », alors que le site Oumma l’avait devancé.

C’est le petit buzz médiatique du moment. Jean-Marie Le Pen a encore "dérapé", déclarant qu’il préférait voir des vaches plutôt que des Arabes. "J’ai acheté une maison de campagne pour permettre à mes enfants qui habitaient le 15ème de voir des vaches au lieu de voir des Arabes", a déclaré, face à une journaliste de VSD, le vieux leader frontiste lors de sa campagne pour les élections régionales à Manosque, en février dernier. La séquence d’une minute est extraite du documentaire Le Pen, le dernier combat de Thomas Rague, diffusé le 19 avril dernier sur la chaîne Public Sénat (à voir ici).
 
A l’époque, j’avais vu le documentaire, et la séquence "choc" qu’on nous sert aujourd’hui ne m’avait certes pas échappée. Mais je dois dire qu’elle ne m’avait pas arrêté. Peut-être parce que l’on est habitué à ces propos de la part de Jean-Marie Le Pen. Bref, rien de très neuf. Et puis, on ne saurait nier un certain talent comique chez Le Pen qui fait que, même en entendant de telles "horreurs", on ne peut s’empêcher de rire sur le moment. Le bonhomme est marrant, on sent qu’il s’amuse (d’ailleurs durant tout le documentaire), et cela aide à faire passer les choses sans doute.
 
 
 
Dans la foulée de cette interview, que Marianne jugera trop agressive de la part du journaliste d’Inter Bruno Duvic ("Le reste du débat sera à l’avenant, permettant de montrer aux électeurs du FN ou à ceux qui sont tentés de voter FN que décidément France Inter est une radio très à gauche et que le sort réservé à ses représentants relève décidément de la dénonciation plus que du journalisme"), Libération pointera la solidarité de Gollnisch avec son président, en titrant Les vaches et les Arabes : Gollnisch défend la « boutade » de Le Pen. Comme si c’était l’essentiel de cette entrevue...
 
Manifestement, la volonté du quotidien n’est pas tant ici d’informer que de dénoncer. Pour entendre s’exprimer dans une certaine ampleur Bruno Gollnisch, sans être constamment coupé, et pour juger en connaissance de cause, on se retrouve obligé de l’écouter sur une radio "amie" de ses idées, Radio Courtoisie. Ou, du moins, pour se forger un jugement équilibré, il faut sans doute l’écouter à la fois interviewé par des "amis" (Radio Courtoisie) et par des "ennemis" (France Inter).

Pour résumer, suite à la diffusion d’un documentaire sur Jean-Marie Le Pen, il faut quatre mois à un site communautaire musulman pour se rendre compte que le président du Front national a fait une blague dont il est coutumier et que la pensée correcte condamne. Puis L’Express fait mine de découvrir le "dérapage", en passant sous silence sa supposée source, car elle aurait mauvaise réputation, et il ne ferait pas très sérieux sans doute de reconnaître qu’on s’y abreuve soi-même. Toujours sans référence à la source, France Inter et Libération s’engouffre dans le buzz, mais aussi Le Point, l’AFP, Europe 1 (qui ose écrire que "la scène a été exhumée jeudi, par L’Express.fr") et le JDD.

Tous ces médias - de Oumma à Libé - se rejoignent cependant sur un point : leur stratégie de diabolisation du FN, dont Philippe Cohen, dans Marianne, doute justement de l’efficacité : "En réalité, cette stratégie anti-lepéniste interpelle. Voilà bientôt trente ans que la gauche la pratique sans succès et que Marine Le Pen en profite aujourd’hui pour dénoncer la diabolisation dont est victime son parti. (...) Les derniers sondages font état de 13% d’intentions de vote pour Marine Le Pen. La question, redoutable, qui se pose aux journalistes comme à la gauche est de savoir si, face à sa stratégie, c’est dans les vieux pots de l’anti-fascisme façon années 80 que l’on fabriquera la meilleure potion contre le populisme frontiste. On y reviendra forcément".

Oumma, même s’il n’est pas cité par ses prestigieux confrères, a au moins obtenu ce qu’il souhaitait : une indignation médiatique quasi générale. Certes, les partis politiques et les associations antiracistes n’ont pas encore réagi. Cela ne devrait plus tarder.


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