Le scepticisme, clé de la culture médiatique
par Francis Pisani
jeudi 2 novembre 2006
Impossible de comprendre la montée des nouveaux médias sans faire sa place à la crise profonde traversée par les modèles traditionnels.
“Ils n’ont pas la moindre idée de ce qui est en train de se passer”, estime Len Brody de NowPublic, pendant un panel sur le journalisme citoyen lors de la conférence sur “The business of new media” (voir ce billet). “Ils n’ont pas de couilles,” a renchéri Mark Pincus, co-fondateur de Tribe. Ils foncent vers un précipice. Ils le savent et ne réagissent pas. Et en plus ils ne font rien de fun”.
D’accord, personne ne sait comment financer les nouvelles formes de journalisme - “On n’a pas la réponse”, affirme sans hésiter Dan Gillmor, auteur de We the Media. Raison de plus pour essayer. Il remarque pourtant que la plupart des blogs s’adressent à de minuscules niches et que “la valeur par lecteur d’un blog écrit pour la famille et quelques proches est bien plus élevée que la valeur par lecteur des blogs les plus lus”. Il pense en outre que les médias se trompent quand ils craignent ce genre de contenu. Le vrai problème, selon lui, est le déplacement des budgets publicitaires et “leur vraie compétition, c’est eBay ou Google, des compagnies qui s’intéressent aux revenus mais pas au journalisme.”
On a aussi parlé du rôle changeant de l’audience (tellement changeant qu’on est en droit de se demander si elle mérite encore ce nom). Et c’est finalement ça, le territoire mouvant sur lequel toute la discussion se déroule. “Personne ici ne croit que le journalisme citoyen va remplacer les médias traditionnels”, a expliqué J.-D. Lassica, fondateur de OurMedia. “Le journalisme, c’est du travail, et personne ne veut travailler quand on n’est pas tenu de le faire. Le vrai problème, c’est que les médias traditionnels vont devoir faire de la place à l’audience pour créer les médias.”
L’audience aussi va devoir changer. Elle va devoir apprendre. “Media litteracy” (un peu plus que l’alphabétisation et un peu moins que la culture médiatique) implique d’être critique”, a déclaré Gillmor. “Il s’agit d’être sceptique en connaissance de cause, d’apprendre à faire du reportage original. Un certain scepticisme fondamental sera le premier principe des médias citoyens dans le futur.” Cela vaut pour les journalistes citoyens aussi bien que pour ceux qui les lisent.