Le sondage et le militant : intérêts divergents

par Luc Derai
mardi 26 septembre 2006

 Le sondage est-il l’avenir de l’homme (ou de la femme) politique ? Le rêve millénaire de la prédiction, la connaissance de l’avenir, reste un vœu pieu. Laissons-le à madame soleil et à ses adeptes. Pourtant, les militants et sympathisants de gauche, toujours sonnés par le 21 avril 2002, soumis au feu incessant des médias, de peur de revivre un nouveau désastre, adaptent leur jugement en fonction des seuls sondages : « Il faut soutenir celui ou celle qui est le ou la mieux placé-e ». Le débat de conviction s’avère marginal, les prises de position les plus « étonnantes » ignorées. Les sondages de popularité éclipsent tout. Si l’espoir d’un succès est louable, le réveil risque d’être difficile. C’est pendant la campagne électorale, au cours des débats, grâce à la promotion d’un projet de gauche et nulle part ailleurs que se situent les éléments de la victoire, la « cristallisation ». Constatons simplement les faits, déconstruisons cette « irréalité sondagière » et analysons à partir de la seule réalité les conditions nécessaires pour éviter une défaite assurée.

Neuf mois avant les élections présidentielles, les sondages se sont toujours trompés. Jetons rapidement un regard éploré du côté de ceux qui, neuf mois avant les élections, pensaient se draper des habits de président de la République française.

En 1980, Michel Rocard est le candidat des sondages. Sa cote de popularité est élevée. Il incarne le renouvellement. Certains disent, la modernité. François Mitterrand, lui, serait battu, écrasé même. Valery Giscard d’Estaing l’emportera, c’est certain. Le futur président de la République est crédité d’un retard tel que sa candidature même est impensable. Il ne recueillerait que 43% au second tour, soit 14% d’écart avec le président sortant. François Mitterrand sera réélu en 1988...

En septembre 1994, le candidat des médias, de la presse et des sondages est le Premier ministre. Edouard Balladur est à 31% dans les sondages, presque le double de son opposant et futur président, Jacques Chirac. Le résultat, nous le connaissons. N’oublions pas également que Jacques Delors devait être le candidat victorieux des socialistes...

Plus proche de nous encore. Lionel Jospin, fier de son bilan, est à l’automne 2001 haut dans les sondages. C’est certain, il sera le successeur d’un Jacques Chirac « vieux et usé ». A 25% d’intentions de vote, record pour un premier ministre sortant, le candidat pilote et adapte sa stratégie en fonction des sondages, joue un second tour qui devrait être une promenade de santé pour la gauche. Le résultat tombe. 16,1%. Le Parti socialiste est derrière le FN.

Autre exemple, différent mais tout aussi marquant. Le référendum sur le projet de constitution européenne. En septembre 2004, le oui frôle les 70% ! Les partis de gouvernement s’engagent en faveur d’une ratification simple formalité. Le président de la République et la direction du Parti socialiste ne prennent aucun risque. Neuf mois plus tard, le non l’emporte largement.

Il ne s’agit pas là de réflexions mais de données brutes. Les faits sont aussi têtus que les amoureux des sondages et de leurs icônes. Pourquoi de tels écarts ? Pourquoi une telle inversion des résultats ? Simplement, le temps du débat politique, de l’engagement, de la persuasion, de la conviction. En un mot, la démocratie plutôt que la « sondocratie ». Quand une campagne électorale commence, ce sont les aspirations de l’électorat et le débat d’idées qui reprennent le dessus.

Avant même les candidats déclarés ou investis, les sondages alimentent le débat. Pris au pied de la lettre, ils deviennent des éléments déterminants pour les citoyens qui les intègrent dans leur stratégie. Ces sondages effectués bien en amont ne donnent cependant qu’une photographie à un moment donné loin des échéances. Les instituts et les commentateurs le rappellent parfois mollement. Ils alimentent ainsi un débat fictif sans lien direct avec les enjeux, renforçant la personnalisation aux dépends de l’échange démocratique et politique, et, griots, induisent des comportements. Ainsi, le dialogue de la gauche avec son électorat premier (en l’occurrence les ouvriers, les salariés, les fonctionnaires, le monde scolaire, etc.) et ses attentes (pouvoir d’achat, éducation, prévention, etc.) est occulté ou déplacé à un niveau ludique, voire démagogique.

Le risque est alors grand de voir investie une personnalité aujourd’hui populaire mais décalée par son discours des grandes aspirations de l’électorat de gauche, aspirations qui seront au centre des débats des derniers mois. L’exemple de 2002 devrait servir de leçon. Il n’en est malheureusement rien. En jouant dès à présent un hypothétique second tour, en tenant un discours a minima recentré, en courant derrière des thématiques qui ne sont pas celles de la gauche, les mêmes causes occasionnant les mêmes effets, la défaite s’annonce. Les militants socialistes, pour faire gagner leur camp, doivent désigner celui ou celle qui représente par ses prises de position le mieux les valeurs et les aspirations de la gauche, et assume le débat. Rappelons que le Parti socialiste n’a remporté de victoires qu’en tenant un discours authentiquement de gauche (de la semaine des 40 heures à l’éphémère « Et maintenant l’Europe sociale ! ») et parfois même impopulaire comme l’emblématique abolition de la peine de mort. On ne gagne pas en se reniant ! On ne convaincra pas sans débattre ! Les exigences d’un mode de scrutin bipolarisant renforçant la coupure nette de la société française née de la Révolution française devraient conduire les socialistes à construire une stratégie en adéquation avec l’exigence de victoire. Car à suivre les résultats des études, une chose est certaine, l’avenir ne sera pas rose. A défaut de porter bonheur au candidat le mieux placé dans les sondages, nous l’avons montré, comme une boussole indiquant le sud, les instituts mettent en exergue, neuf mois avant l’échéance, le ou la candidate qui ne gagnera pas !

N’oublions pas enfin que l’intérêt - économique - des instituts et des médias n’est en rien - changer la réalité sociale - celui des militants et des sympathisants. Comme l’écrivait en 1995 le sociologue Patrick Champagne dans un article resté célèbre : « Les sondages qui sont commandés par les responsables politiques et par les médias visent, en effet, moins à connaître « l’opinion publique » qu’à savoir, à des fins essentiellement de marketing, ce que le public (ou l’électeur) aime voir ou entendre dans le but de fabriquer des programmes (politiques ou de télévision) ajustés à ses attentes ainsi construite. »

Reste cette phrase de François Mitterrand qui ne fut pas le plus mauvais des stratèges : « L’habileté ne monte jamais assez haut pour expliquer les grands destins. Quand on s’use à faire carrière, il ne reste rien pour l’histoire. » La réalité se construit, elle ne s’invente pas. Il ne suffit pas d’avoir un désir d’avenir pour changer la vie. A charge pour les médias et les instituts de sondage de ne pas « construire » un ou une candidat/e et de le ou la conduire vers une défaite assurée. Aux dépends des militants.

#INCLURE( article_chat.php )


Lire l'article complet, et les commentaires