Les dérives du journalisme : et si on parlait déontologie ?

par JournalisteMasqué
mardi 26 avril 2016

Le journaliste aime bien parler de déontologie. C’est à la fois un gros mot et un mot savant. Qui n’en a pas entendu parler dans les rédactions, se gausser des affres de la presse anglo-saxonne et en premier lieu de l’affaire Murdoch. Vous l’avez déjà oublié ?

Cette affaire montre jusqu’où peut aller une ‘certaine presse’, piratant les messageries de portables de nombreuses personnalités. Cela pourrait prêter à sourire si cela ne concernait que des footballeurs ou la famille royale. Mais non. Le journal incriminé – News of the World – et depuis fermé purement et simplement, a également poussé le vice jusqu’à interférer dans une enquête sur la disparition et le meurtre d’une jeune fille, là aussi en interceptant et en effaçant les messages. News of the World a même laissé croire à la famille de la victime que celle-ci était toujours en vie.

Mais au-delà de la démission du chef de la police de Londres et les arrestations en série, cette affaire a surtout levé le voile sur les relations politico-médiatiques de certains. Ainsi, News of the World était bien plus qu’un tabloïd, sous-entendu ‘la presse de caniveau’. Cette affaire a quand même obligé le premier ministre David Cameron à s’expliquer sur ses relations avec le groupe Murdoch et l’embauche d’Andy Coulson, ancien rédacteur en chef de News of the World, comme conseiller en communication. De même, le Labour a eu aussi maille à partir.

La presse propagande, un euphémisme

Bien évidemment, la ‘transgression déontologique’ prend des formes plus sournoises, quel que soit le pays. En France, le débat – à la fois contemporain et sans cesse renouvelé – concerne la bataille des idées. Ou, pour paraphraser Gramsci (décidément à la mode), la lutte contre l’hégémonie culturelle ‘de gauche’ des journalistes de ce pays. Et certains de parler de réinformation, une vulgaire propagande politique finalement, sous couvert de ‘résistance’.

Loin de cet antagonisme stérile, saluons la création du Comité Orwell (que certains devraient lire), ce « collectif de journalistes pour la défense de la souveraineté populaire et des idées alternatives dans les médias ». En espérant, toutefois, que ces journalistes ne deviennent pas les pendants de ceux qu’ils critiquent. La question reste posée au regard du compte Twitter d’une des cofondatrices, Eugénie Bastié, qui tient plus de la pasionaria que de la journaliste. Mais attendons de voir la plus-value de Comité Orwell : le premier colloque soulevait de bonnes questions – notamment, entre autres, sur la déspécialisation des journalistes – et il y a une demande de fond de la part des citoyens. La bataille des idées mais aussi des valeurs est donc bien présente.

Cela permettrait – on l’espère – de sortir de cet acharnement systématique qu’est devenu le journalisme, ou tout cas une partie de la profession. L’exemple évident concerne Christiane Taubira, alors Ministre de la justice, cible récurrente avec des histoires montées en épingle. Pour quelle utilité ?

Oublions également ces journaux dont le fonds de commerce est une injure à l’intelligence. On fera donc abstraction de Valeurs actuelles mais on peut aussi citer Le Figaro, en tout cas certaines unes. Par exemple, mi-décembre, le journal de Dassault réalise la combinaison parfaite avec l’interview de Nicolas Sarkozy – et donc la première page du journal – mais également la couverture de Madame Figaro avec Madame… Sarkozy ! Tout ça, deux jours avant le second tour des élections régionales. Bien sûr, à ‘gauche’ également, les exemples sont légions.

De la pseudoinvestigation à l’autopromotion

On connaissait les journalistes ‘spécialistes en pseudoinvestigation’ (nous tairons les noms) mais un mal répandu est celui de l’autopromotion du journaliste maison ou très proche, à qui ‘on file les clés du journal’ pour sortir un numéro. PQN et hebdomadaires sont atteints de ce mal…

Ce marketing journalistique consiste à vedettiser le journaliste au détriment de l’information. Par exemple, en octobre 2015 dans Libération, le journaliste santé Eric Favereau reprend sans distance les arguments du livre de Stéphane Horel, alors que le journal fait sa couv’ sur le combo ‘Bruxelles + Lobbys + santé = citoyens, on nous ment !’, thèmes favoris des (é)lecteurs d’une certaine frange. On aurait aimé des points de vue opposés, des angles différents, amenant une réelle plus-value. Par exemple, pourquoi ne pas reprendre les propos du sociologue Quentin Ravelli dont le livre « La stratégie de la bactérie : Une enquête au cœur de l'industrie pharmaceutique » adopte une approche distanciée et systémique, bien plus explicative ? Parce que la finalité de Libé est de démontrer le ‘tous pourris’ ? A cause de l’imbécilité des lecteurs ?

Autre exemple, cette fois chez Marianne. Et là, le vedettariat se voit directement sur la couverture ! L’intérêt de « notre collaborateur Marc Endeweld » prime : il est mis en avant doublement, via son ‘livre-enquête’ sur Macron ET sur son article sur l’affaire Bygmalion. Or, ce vedettariat délibérément choisi par Marianne ne peut que fragiliser les arguments avancés dans ces deux sujets. Quid de la vérité ? Le journaliste doit informer le lecteur, pas se mettre en avant… Cela transparaît dans l’article, plus qu’abscons et sensationnaliste, se basant sur les seuls PV d’audition de l’agence de com’ attaquée (Agence Publics), pour extrapoler sur le rôle de son dirigeant (un certain Gérard Askinazi) dans le financement de la campagne 2012 de Sarkozy ?! A la lecture de l’article – et de Marianne – on a bien compris que certains journalistes menaient une vendetta contre Sarko, quitte à se complaire dans l’affirmation, de manière obsessionnelle, plutôt que dans la confirmation. Ainsi, à vouloir nourrir le sensationnel, on finit par se brûler. Et ce, alors que le journalisme ne doit servir que des faits, recoupés, donnant la parole à toutes les parties prenantes.

La publicité cachée : brand content, partenariat rémunéré…

Une autre casserole du métier concerne la publicité déguisée. Enfin ‘déguisée’, on se comprend. Certains supports sont tellement grossiers qu’on se demande quel est le positionnement éditorial ? Exemple de M, le magazine du Monde. Quelle est son utilité si ce n’est d’être à la solde des annonceurs (marques du luxe, de cosmétiques, de l’automobile, etc.), en leurs offrant l’électorat CSP+ très parisiano-centré ? Mais le Monde est un habitué de ce genre de choses. On ne risque donc pas d’y trouver des enquêtes fouillées ou des portraits qui égratignent un tant soit peu nos ‘capitaines d’industrie’ ou nos grands argentiers. Faut dire aussi qu’ils sont les propriétaires de la presse…

Autre exemple de la promotion déguisée via la plume d’un journaliste (pardon, du rédac’ chef du Figaro) : Guillaume Tabard et le sponsoring d’Asics, soit 11 pages (quand même !) dans le Fig Mag. Ce qui en a ému plus d’un à la SDJ du journal, mais pas le directeur de la rédaction du Fig Mag, Guillaume Roquette, qui ne voit rien d’anormal.

Le phénomène dégénère actuellement et prend des formes plus sournoises, déguisées. Seul l’œil averti peut y voir des manœuvres marketing. Rien de répréhensible si cela est dit clairement… ce qui n’est pas le cas. Où est donc la déontologie du journaliste ? Certains devraient relire cet article qui met les pieds dans le plat… en 2006 ! « Les journalistes ont-ils une déontologie ? ». La déontologie, ce n’est pas seulement traduire des valeurs morales en devoirs professionnels. C’est aussi et surtout toute une gamme de sanctions au regard des manquements constatés. Quid dans les médias, plus précisément dans les journaux ? Pour reprendre l’exemple de Guillaume Tabard, quelle a été la sanction ?

Quel contre-pouvoir au contre-pouvoir qu’est le journalisme ?

Xavier Molénat le rappelle fort justement (je reformule sa phrase) : le journalisme a toujours porté de « nombreuses exigences morales [attention ! Gros mots !] (véracité de l'information, impartialité, distance critique, absence de collusions...), mais qui a toujours affiché très haut la volonté de s'autoréguler, c'est-à-dire surtout la volonté de ne laisser aucune instance ou autorité extérieure (public, justice) mettre son nez dans les questions de déontologie professionnelle ».

De fait, où est le contre-pouvoir au pouvoir de l'information ? Et ce, dans un environnement économique de plus en plus dégradé pour la profession. Mais ce n’est pas la seule cause. Il y a vraiment une autocritique à faire, qui va bien au-delà de la simpliste focalisation sur ‘la presse de gauche’. Les travers et fautes professionnelles sont apolitiques. Le Comité Orwell en pointe certaines mais on n’espère qu’il arrivera à élever le débat sur le devenir de la profession et non pas devenir une énième caisse de résonnance d’intérêts particuliers.


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