Les incongruités du droit à l’image

par jean charles espy
mardi 4 avril 2006

En mai 2002, Nicolas Philibert présentait au Festival de Cannes son excellent film documentaire Etre et avoir racontant le travail quotidien d’un maître d’école d’un petit village d’Auvergne, Saint Etienne sur Usson. C’était l’époque du bonheur ; outre la nomination à Cannes, le film venait de réaliser un score exceptionnel pour un documentaire, plus de 1,8 million d’entrées, et avait été couronné par le prix Louis Delluc. 2003, changement d’ambiance, Georges Lopez, l’excellent instituteur emblématique du film, estimait que « le documentaire constituait une reproduction illicite de son cours et demandait des indemnités, notamment pour atteinte à son droit à l’image, au nom et à la voix ».

Il affirmait également ne pas avoir donné son accord pour l’exploitation de son image, et par conséquent avoir été privé de sa rémunération. L’enjeu de ce procès, qui vient de voir son épilogue le 26 mars dernier, portait sur le statut des personnes filmées dans un documentaire. Si, à l’occasion de ce succès médiatique, il avait été jugé que l’on doive payer des personnes participant à un documentaire, c’est toute l’économie du secteur et tout l’équilibre de l’œuvre documentaire qui eût été mis en question.

Fort heureusement, la quatrième chambre vient de confirmer le jugement rendu en première instance, et a débouté Georges Lopez de ses prétentions : « le film en litige relève du genre documentaire, dont l’objet est de filmer des personnes qui ne jouent ni ne suivent des scénarios, mais accomplissent devant la caméra leur tâche ou leur fonction habituelles ». Les juges ont, de plus, conclu que l’instituteur avait consenti à la reproduction de son image. Nicolas Philibert est donc le seul auteur du film reconnu par les magistrats.

Ce procès montre la complexité du droit à l’image. Une photo publiée dans la foulée d’un événement est autorisée parce qu’appartenant à l’actualité, à condition que la personne soit majeure.

Mais quelques jours plus tard, la même image devient une atteinte à la vie privée. Seule est légitime « la photo chaude ». La réalité devient alors propriété privée. La Cour de cassation a mis un frein aux excès en décidant le 7 mai 2004 que le propriétaire d’un bien « ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celui-ci ». Celui qui possède un lac ou un immeuble ne peut demander compensation à l’auteur d’une photo de son bien. Mais qu’en est-il d’une photo de personne prise au cœur de l’actualité, que l’on retrouve en archive sur Internet ?

Qu’en est-il de l’utilisation de personnalités à des fins publicitaires, comme dans la dernière campagne de RTL, totalement illégale face au droit à l’image ? En l’occurrence, la loi autorisant pour la presse la représentation de personnes publiques dans l’exercice de leurs fonctions ne peut être envisagée. L’utilisation des « couples » Sarkozy-Villepin, Royal-Hollande, Barthez-Coupet n’est pas au service de l’information mais du message publicitaire de RTL « vivrensemble ». La campagne a été conçue à des fins commerciales (gain d’audience = gain de publicité), pourtant, selon les propos mêmes de Virginie Teissier, directrice de la communication de RTL, aucune autorisation n’a été demandée. Et aucune plainte n’a été déposée. Ah, la puissance des médias !


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