Les médias et l’Homme normal

par Lukas AUBIN
mercredi 9 novembre 2011

Samedi 29 octobre, France 2, chaîne publique, service public.

Durant l'émission hebdomadaire "On n'est pas couché" présentée par Laurent Ruquier, Philippe Poutou, le candidat NPA à l'élection présidentielle, était l'invité politique de la semaine. Cet illustre inconnu a alors dû subir pendant une heure un baptême médiatique d'une violence symbolique rare.

La télévision : vitrine du propret

 Aujourd'hui dans les médias, et tout particulièrement à la télévision, les gens s'intéressent à l'extra-ordinaire qui, dans le jargon télévisuel, pourrait être un synonyme de voyeurisme. Flattant les bas instincts de l'homme consciemment et inconsciemment, les chaînes publiques ou privées donnent au peuple sa nourriture quotidienne. Ce dernier mot reflète un paradoxe des plus intéressants. Comme l'a souligné Bourdieu ces "quotidiens", que sont les journaux papiers ou télévisés, sont censés le relater justement, le quotidien. Mais voilà, la concurrence journalistique engendre une certaine homogénéisation de l'information dans l'exceptionnel. Ainsi dans une émission comme celle de Ruquier, dont le succès est évident, on aura l'habitude d'accueillir un homme politique dont l'emphase, la rhétorique et le mielleux ne sont plus à prouver. On cherchera à le piéger, l'énerver, le rendre un peu plus humain. Même si 90% du temps cela ne fonctionnera pas. Au pire, on aura réussi une fois de plus à rappeler au téléspectateur béât d'admiration combien il est lui-même banal.

 Ca me rappelle cette réponse de Villepin, dont l'art et la maitrise du verbe ne sont plus à prouver.

 
 On invitera également des Lady Gaga ("Si vous le voulez vraiment vous pouvez faire ce que vous voulez !" Vraiment ?) ou des Karl Lagerfeld (qui avait dit en substance sur canal plus que si les riches partaient de France c'était la faute des politiques, cocasse non ?) qui grâce à leur look et à leur discours sortent du "quotidien" (oui je trouve ce mot drôle dans ce contexte, pas vous ?) et font rêver.

 Dans le registre de l'homme politique médiatiquement consommable, Olivier Besancenot faisait figure de ténor. Enchaînant buzz sur buzz, succès électoraux (à son échelle) et plateaux télévisés pendant plusieurs années le jeune facteur a eu le vent en poupe.

 Et pourtant. Ce samedi 29 octobre était assis dans le siège des invités Philippe Poutou. Le remplaçant. Un homme "normal" (selon la définition médiatique). On aurait presque entendu les autres personnes présentes sur le plateau hurler : Au secours ! Un ouvrier ! Quelqu'un qui ne va pas nous ébahir ! Quelqu'un qui ne fera pas grimper l'audimat !

 En effet, l'ouvrier quadragénaire de chez Ford n'a rien d'un éléphant politique. Sans aucune formation au préalable le voilà donc lâché dans l'arène de Ruquier en pâture aux délicates Polony et Pulvar. S'il n'y avait eu qu'elles...

 Mais reprenons depuis le début. Et analysons rapidement le contenu. Laurent Ruquier et ses acolytes vont se livrer à un exercice des plus délicats : réussir à faire perdre toute crédibilité à un homme en une petite heure. 

 Phase 1 : la mise en condition.

 Ruquier : "Vous êtes stressé ?"

 Son visage le trahissait à peine...

 Phase 2 : Montrer aux téléspectateurs son inexpérience.

 Ruquier : "Vous restez l'inconnu vous savez ?" "Besancenot vous a briefé ?"

 Ah ! Les fameuses questions destinées à faire planer l'ombre de Besancenot. Originales et tellement peu évidentes.

 Phase 3 : l'humiliation.

 Ruquier : "Il y a votre nom qui vous sauve !"

 Hillarité générale, c'est vrai que Poutou c'est d'un comique. Mais la suite est encore pire.

 Ruquier : "Vous avez raté le bac, vous êtes sans diplôme, vous avez été intérimaire, surveillant de collège, et c'est grâce aux 35 heures que vous avez été embauché."

 En une phrase. Joli coup l'ami normand ! Moi qui avais cru ouïr que tes origines ouvrières t'avaient conduit à respecter le milieu. Visiblement la télévision t'émancipe de certains principes.

 Et parfois on a la phase 2 et la phase 3 dans la même phrase. Chapeau l'artiste.

 Ruquier : « Votre boulot c'est de faire oublier Olivier Besancenot (…) sauf que vous vous avez raté le concours de la poste »

 Pas mal non ?

 Phase 4 : la culpabilisation.

 Ruquier : "Vous savez en vous invitant c'est pas vous que j'aide, c'est l'UMP ?"

 Une perle de tact, un amour de délicatesse.

 Phase 5 : la condescendance.

  Radu MIHAILEANU : « Arrêtez le massacre Laurent. » « Il me touche énormément, son courage me touche ( …) c'est pas ce qui semble petit qui est le moins majestueux »

 Ruquier «  Mais en tout cas ne voyez chez moi aucun mépris, j'ai beaucoup de bienveillance » 

 Omar Sy : « J'rigole quand j'suis gêné mais vraiment on a envie de vous faire des poutoux »

 Michel Onfray : "Vous savez moi aussi j'ai raté des examens"

 Et croyez moi, j'en passe et des meilleurs. Si vous voulez vous faire votre propre opinion c'est par ici :

          

 Dans cette mise à mort médiatique plusieurs choses sont à relever. Déjà, Philippe Poutou, ça n'aura échappé à personne, n'a pas l'expérience des plateaux télévisés et il n'a pas non plus de formation politique. Mais que faisait-il ici dans ce cas ? Comment pouvait-il espérer apporter de la crédibilité à son parti, le NPA ?

Je ne pense pas qu'il faille formuler les questions ainsi. A mon sens LA question est plutôt celle-ci : comment se fait-il qu'un homme normal n'ait aucune chance de transmettre son message dans l'industrie médiatique ?

 

 

Les masses médias : guillotines à démocratie  

 A l'heure de la lassitude des hyper-présidents, qui pourrait mieux représenter les gens qu'une personne du peuple elle-même ? Ne se prétendant pas surhomme, ne prétendant pas tout savoir, et expliquant que les solutions passent par la discussion, le dialogue entre les gens eux-même. En somme, une véritable démocratie dans laquelle la discussion ne serait plus synonyme d'opposition mais bien de construction. Sauf que, et c'est le fond du problème, la démocratie à l'occidentale n'en est pas réellement une. Edward Bernays ("Propaganda"), Normand Baillargeon ("Petit cours d'autodéfense intellectuelle"), Noam Chomsky ("Comprendre le pouvoir") l'ont parfaitement démontré. Aujourd'hui, les idées ont moins d'importance que la prestance. Un débat télévisuel s'apparentera davantage à un combat qu'à un échange. Remarquez que l'homme normal qu'est Philippe Poutou ne coupe jamais la parole à ses interlocuteurs. Il ne maîtrise pas les codes médiatiques et cela engendre l'inégalité très bien décrite par Pierre Bourdieu :

"Ce qui pose un problème tout à fait important du point de vue de la démocratie : il est évident que tous les locuteurs ne sont pas égaux sur le plateau (télévisuel). Vous avez des professionnels du plateau, des professionnels de la parole et du plateau, et en face d’eux des amateurs (ça peut être des grévistes, etc.), c’est d’une inégalité extraordinaire." (Bourdieu, Sur la télévision)

 Alors oui, la télévision aujourd'hui est une forme de totalitarisme tout comme notre démocratie. 

  La télévision broie l'originalité, broie la différence et tout cela... dans l'indifférence. La pensée s'uniformise lentement, inéluctablement.

 Les idées du peuple n'intéressent plus, ni les dirigeants, ni (et quel paradoxe !) le peuple lui-même, lobotomisé par la chiure médiatique.

 Dans un contexte de crise et de campagne électorale, il faut sortir du marasme intellectuel qui nous impose un choix entre PS ou UMP pour une énième fois. Il faut aussi comprendre que la "désobéissance civile" est un droit. Hannah Harendt disait : "Des actes de désobéissance civile interviennent lorsqu'un certain nombre de citoyens ont acquis la conviction que les mécanismes normaux de l'évolution ne fonctionnent plus ou que leurs réclamations ne seront pas entendues (...)."

On y est non ?

 En des temps troublés où les dirigeants européens s'insurgent, dans un déni total et assumé de démocratie, contre l'idée de référendum proposé par Papandreou. Posons nous les bonnes questions. Est-ce normal que, dans une valse d'assertions complètement folle, tout un chacun trouve logique de ne pas demander l'avis du peuple ? Est-ce normal de lui refuser le pouvoir du choix ? Ou encore, plus vieux mais non moins important, est-ce normal d'entrer en guerre contre la Libye sans en référer aux citoyens ? 

 A méditer.

 Lukas Aubin

 

 Au sujet de cette affaire :

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/209437 ;quand-ruquier-pulvar-et-onfray-font-le-coup-du-diner-de-cons-a-un-ouvrier.html (Oui vous êtes bien sur le site du nouvel'obs', étrange non ?)

http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=4441 (Chronique de Didier Porte)

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/un-candidat-sans-artifice-103495

 Mon blog :

http://newsfromlatvia.over-blog.com/


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