Les médias fabriquent-ils les présidents ?
par Bernard Dugué
mardi 27 septembre 2011
Histoire d’offrir un modeste tribut aux Tribunes de la presse se tenant début octobre à Arcachon, on proposera ici de réfléchir au rôle des médias dans la démocratie. Avec une question franche et directe : les chefs de gouvernements sont-ils fabriqués par les médias ? Cette question à sens multiples suppose plusieurs angles de réflexion. Notamment celui de l’impact réel de médias que l’on peut soupçonner d’élire les présidents, ou à défaut, les prétendants à la magistrature suprême. Bien évidemment les médias ne votent pas mais ils semblent infléchir les « goûts » des citoyens en livrant leurs préférences mais en donnant l’impression d’être impartiaux. Si c’est le cas, alors ces gens là sont extrêmement rusés. Dire que les médias fabriquent les chefs d’Etat, c’est participer à un mythe fantasmé et c’est aussi se réclamer d’un excès sémantique qu’on assume parfaitement car sa valeur heuristique est évidente. On l’aura compris, les médias semblent faciliter le choix des électeurs et s’ils interviennent, c’est au moment de la désignation des candidats. Aux Etats-Unis, le mécanisme des primaires est bien rodé et se prête à la mise en évidence de candidats devenus stars de quelques mois. En France, les primaires socialistes répondent aussi à ce schéma. Ce fut le cas en 2006 avec la bulle médiatique formée autour de Ségolène Royal et en 2011, rebelote, la bulle se forme autour de François Hollande. L’arrivée au pouvoir de Tony Blair en Grande-Bretagne a été elle aussi attribuée aux médias, dispositif ayant joué de complicité avec le jeu bien rodé d’un Blair qui a su du haut de sa prestance iconique et verbale gagner l’assentiment de l’opinion publique britannique.
Ne pourrait-on néanmoins déplacer le questionnement en interrogeant le rôle des médias d’une manière indépendante de tous les phénomènes de starisation ? Les médias ne seraient-ils pas les incitateurs d’une aspiration des citoyens à voir se matérialiser la figure d’un homme d’Etat ? Ce qui signifie que dans les époques pas encore traversées par le champ médiatique, les ascensions vers le pouvoir suprême étaient du ressort d’autres critères ? Certainement et les historiens ne contrediront pas l’idée que dans les temps anciens, les sociétés ne connaissaient pas vraiment l’opinion publique. Autre thèse plausible : sans cette opinion, il n’est point de démocratie possible. Mais sans médias, pas d’opinion publique. Médias signifie milieu, intermédiaire, vecteur de transmission. La démocratie athénienne ne reposait pas sur des médias matériels mais sur une agora qui était le média, le lieu où se transmet la parole et s’élaborent les décisions publiques. Il est donc certain que les médias sont une partie technique déterminante dans le fonctionnement des démocraties. A la fin du 19ème siècle, les journaux servaient à « fabriquer » ou former l’opinion politique. Ils ont été complétés par la radio, la télévision et maintenant, l’Internet. Quel rôle accorder à l’impact des médias sur la désignation des prétendants au pouvoirs et l’élection finale du président ? Une question à laquelle il n’y aura sans doute pas de réponse définitive mais on sait une chose, c’est que les médias peuvent parfois éjecter un président, Nixon par exemple, laminé par les révélations du Watergate.
Les médias sont susceptibles d’influer sur l’opinion publique selon deux modalités distinctes. (I) En tant que technique de diffusion, le média perd sa neutralité dirait Ellul et modifie substantiellement le psychisme. (II) En tant que dispositif managé par un ensemble de professionnels, appelons-les les médiarques, le système médiatique peut en jouant sur le contenu, la mise en scène, la diffusion sélective, favoriser un ou plusieurs personnages politiques. Il est avéré que Ségolène Royal a bénéficié d’une bulle médiatique pendant le second semestre de 2006, ce qui l’a propulsée vers la victoire aux primaires. En 2011, un phénomène similaire se produit avec François Hollande. Il n’est pas impossible que les médias aient aussi participé de manière substantielle à la victoire de Jacques Chirac en 1995 et à l’arrivée au second tour de Jean-Marie Le Pen en 2002. Mais dans le courant de la décennie 2000, un nouveau média a jeté le trouble parmi la profession des journalistes, c’est le Net. D’aucuns ont prétendu que le Net fut à l’origine d’une bulle médiatique ayant propulsé Barak Obama à la Maison blanche. En France, François Bayrou a du son bon score à une popularité propagée sur le Net. Quant à DSK, son cas est des plus énigmatiques puisqu’il fut pendant un temps l’objet de toutes les attentions, bénéficiant d’une cote excellente, pressenti comme futur président alors qu’on feint d’oublier une chose essentielle, DSK ne s’est jamais déclaré solennellement candidat.
Toujours cette question en suspens. Les candidats sont-ils les maîtres du jeu ou bien sont-ils les instruments des médias ? Quelle est l’influence des médias de masse contemporains ? Poussent-ils les candidats à épouser un certain style comme on peut le voir à l’occasion de séquences télévisées ? La télévision en tant que média visuel produit-il chez le spectateur un désir d’image qui se transforme en désir de président, d’homme providentiel, d’acteur occupant le champ de l’opinion publique et censé rassurer sur la conduite du pays ? Les citoyens ont besoin d’être rassurés, ou dans le meilleurs des cas, inspirés par un élan nouveau. La valeur qui détermine la cote d’une personnalité à la bourse médiatique, c’est la confiance. Une valeur axiologique, c’est comme une valeur boursière, ça peut être sous-évaluée ou bien souvent surévaluée. On parle alors de bulle spéculative dans un cas et pourquoi pas de bulle de confiance liée aux transactions médiatiques, lorsque les images et les paroles fusent sur le marché des communications. Si la bulle de confiance ne se dégonfle pas, elle se transforme en bulle électorale pendant la campagne et le scrutin. A l’inverse, un krach de confiance peut éjecter un candidat, comme ce fut le cas pour Lionel Jospin en 2002. D’autres bulles se dessinent, notamment la bulle des anxiétés et des inquiétudes liées à des menaces surévaluées.
Mais au fait, comment répondre à la question sur la fabrique des présidents ? Convenons alors d’accorder une vérité à la formule gaullienne servie naguère par Dominique de Villepin. Une élection présidentielle se joue comme « la rencontre entre un homme et le peuple ». Mais comme le peuple, c’est souvent des dizaines de millions d’âmes, il faut organiser cette rencontre. Trois possibilités, les meetings, les journaux écrits et la radio-télévision. Ensuite, le bouche-à-oreille peut compléter cette rencontre qui néanmoins n’est directe que lors d’un meeting. Pour le reste, une formule sert aussi de maxime à l’ère démocratique. Une élection, c’est la rencontre d’un président avec les médias. Et plus spécialement les médias incarnés par les journalistes qui sont un peu des agents immobiliers, à la différence près que l’agent immobilier présentera sous un jour favorable le bien à vendre, alors que le journaliste est censé sonder le président en s’efforçant en toute « neutralité » de dévoiler ses qualités et ses défauts. Il y a donc une manière de s’exprimer dans les médias qu’apprennent les candidats, un peu à l’instar d’un jeune premier répétant pour réussir une audition à la comédie française. Un candidat doit donc se mettre en scène. Il apparaît dans les journaux écrits, la télévision, les meetings, qui souvent sont télévisés. Les médias peuvent fausser l’image, mais ils sont incontournables. Sans médias, pas de rencontre entre un peuple et les aspirants à la présidence. Le système est loin d’être parfait, pas plus qu’un jury pour comédiens qui peut se fourvoyer lors d’un casting. Un peuple peut-il se fourvoyer ? Il n’y a pas de réponse. Mais le système n’échappe pas aux médias. Et si ces médias ont suscité un culte de la personnalité, voire une admiration des stars, alors la politique n’échappe pas à ce phénomène si bien que les candidats doivent soigner leur image autant que leur verbe parce qu’une élection se joue avec tous les électeurs et que parmi eux, il en est qui sont sensibles à l’image.
Individuellement, on peut s’immuniser contre le format médiatique et lire les programmes proposés. Ce n’est pas interdit. C’est même recommandé mais cela demande plus d’efforts. Inutile donc de jeter la pierre sur les médias. Le système est imparfait, comme l’homme du reste. Et puis un chef d’Etat, ça ne peut pas tout faire, contrairement à une idée fausse habilement distillée par un président qui s’agite sur tous les sujets et finit par être discrédité par une fronde d’élus qui lui ont pourri la fin de son quinquennat en façonnant un Sénat de gauche.