Les mots, le journalisme et la démocratie

par akika
mardi 21 mars 2006

Régulièrement, des sondages, des articles, et même des livres mettent en cause la presse. Au risque de répéter une banalité, les mésaventures des médias et les critiques contre la presse proviennent de l’insatisfaction du lecteur devenu à la fois adulte et en colère qu’on lui serve de la soupe plus ou moins digeste. Les raisons ?

Certaines sont bien connues, comme la concentration des titres de presse aux mains de quelques grands groupes financiers également détenteurs de conglomérats industriels. On comprend aisément qu’il est difficile pour un journaliste d’enquêter ou de rapporter de faits dans un journal X sur un produit Y fabriqué par une entreprise propriétaire et du journal et du produit.

Ce qui est plus triste, c’est de constater que des journalistes reprennent à leur compte sans aucun recul et les mots et la vision des services "Com" (communication) des entreprises ou des gouvernements. Les exemples sont multiples. Prenons, au hasard, la notion "de communauté internationale". Les journalistes en question affirment sans la moindre restriction à propos d’un événement de portée internationale : "Condamnation de la communauté internationale", alors que cette communauté se limite aux USA et à quelques pays amis ou alliés. Ces journalistes oublient la majorité des pays qui ne partagent pas l’avis des USA - il est vrai que ces pays généralement pauvres ou "voyous’’, encore un mot imposé, ne font pas le poids face au gendarme du monde. Quant aux peuples, quand bien même ils descendent par millions dans les rues, leur avis ne compte pas, et certains de nos journalistes continueront à parler de communauté internationale qui condamne ou approuve, etc.

Autre utilisation de mots obéissant à la fameuse formule des "deux poids deux mesures" : la violence. Toute attaque contre les forces américaines et leurs alliés est qualifiée de "terroriste" alors que l’acte en question est un acte de résistance inscrit dans la charte de l’ONU qui reconnaît à tout peuple occupé le droit à la résistance.

Enfin, quand il s’agit d’un quelconque événement survenu en Palestine, ces journalistes utilisent le vocable "territoires" sans autre caractérisation. Exemple de phrase souvent entendue : "Le ministre des affaires étrangères X a rencontré le Premier ministre israélien puis se rendra dans les territoires rendre visite à Mahmoud Abbas". Cet "oubli" du titre palestinien révèle la prise de position du journaliste en faveur de l’autre protagoniste du conflit qui, lui, ne veut pas entendre parler de Palestine mais de Judée et Samarie.

Et le plus grave, c’est quand "nos" journalistes adhérent totalement à la vision ou aux mensonges d’un gouvernement. Rappelons l’épisode de certains journaux qui, avec des graphiques "haute technologie", voulaient comme Colin Powell convaincre leurs lecteurs de l’existence d’armes de destruction massive. Ces mêmes journalistes continuent aujourd’hui à nous servir les notions de la sociologie américaine qui est à la base de l’analyse des stratèges américains. Les Américains analysent le monde en se référant à l’idéologie qui fonctionne chez eux. Ils ont privilégié les notions de tribu, de secte religieuse et autres balivernes pour faire la guerre et "reconstruire" politiquement le pays. Résultat des courses : L’Irak est un immense champ de bataille et un dépôt de ruines, politiques et économiques. Et nos fameux journalistes continuent à reproduire la naïveté ou le cynisme américain. Ils n’ont rien trouvé à redire contre des élections en pleine guerre, dont les résultats ont été connus deux mois après et d’où devait sortir un gouvernement représentatif... jusque-là introuvable. Alors que dans n’importe quel pays dit du tiers-monde en paix, ces mêmes journalistes nous rapportent par le menu le moindre détail sur les urnes qui ne ferment pas, des registres d’électeurs raturés, l’absence d’isoloir, autant de choses qui peuvent être et sont véridiques. On veut faire ricaner le lecteur sur cette démocratie dans ces républiques bananières effectivement dirigées par des dictateurs qui ne font pas peur... aux journalistes. En revanche, des élections organisées par des mollahs, ça passe, du moment qu’ils sont pour l’instant des amis de nos amis américains.

La morale de cette affaire :

1) la démocratie souffre ou se dévalorise quand la presse est un monopole de grands groupes financiers, ou bien quand elle dépend de ces groupes ou de gouvernements pour collecter des ressources par le biais de la publicité.

2) Un jeune et futur journaliste qui n’est pas en accord avec la pensée unique en vogue dans la plupart des médias sera un éternel "journaliste chômeur professionnel".

Je termine l’article en revenant sur l’utilisation des mots. L’utilisation de ces derniers n’est jamais neutre. Je me rappelle ma colère quand j’ai lu, sous la plume d’un grand critique de cinéma, "l’origine" d’une actrice dont la mère, selon ce journaliste, était Kabyle, alors que ceux qui la connaissent et qui connaissent l’histoire de l’Algérie, savent que cette mère en question porte un nom turc. Ce journaliste semblait ignorer que les Turcs sont restés trois siècles en Algérie. Visiblement, pour ce journaliste, toux ceux qui viennent d’Algérie sont kabyles. De la même manière, pour nos obtus islamistes, tout Algérien est forcément et musulman et arabe.

J’ai remarqué, ici même à AgoraVox, aussi bien dans certains articles que dans les commentaires, l’inquiétante utilisation abusive de certains mots. L’abus de certains mots, outre qu’il fait perdre à la pensée sa vigueur et sa précision, révèle chez le locuteur une haine de l’autre difficilement supportable. Les récentes polémiques sur les caricatures du prophète de l’islam ont été une triste et nauséabonde illustration de l’intolérance qui gangrène le tissu social. Alors, faisons en sorte qu’à AgoraVox, nous échappions aux critiques formulées ci-dessus parce qu’Internet offre une grande liberté... "Prions" pour que cela dure. N’oublions pas que les plus belles histoires s’écrivent avec des mots qui ont leur propre histoire. Alors respectons les mots, et quand on les bouscule comme le font les poètes, c’est pour enrichir la vie, et non pour la souiller de nos petitesses.


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