Lettre à Monsieur Edwy Plenel
par Bernard Macé
lundi 15 mai 2006
A la suite de la publication du dernier livre de l’ex-rédacteur en chef du Monde, Edwy Plenel, voici la critique du rat des champs.
Cher compatriote (j’ai lu quelque part que votre famille était d’origine bretonne),
votre livre, Procès, se veut donc une "déposition dont le lecteur est le seul juge" (p.148). Soit. Puisque me voici transformé en "juge", permettez-moi de regretter l’absence de chapitre bien charpenté consacré à la situation dans laquelle vous avez trouvé Le Monde lorsque vous êtes devenu directeur de la rédaction.
Un second chapitre portant sur l’art et la manière de faire Le Monde - vu par Edwy Plenel - eût été également le bienvenu. Comment Edwy Plenel procédait-il pour accoucher d’un journal percutant et attractif, ce qui nous changeait de la platitude et de la monotonie dont souffrent les quotidiens nationaux et régionaux ?
Nous aurions adoré qu’Edwy Plenel répondît à la grande question, la seule qui vaille au fond : comment Edwy Plenel s’y est-il pris pour remonter les ventes ? Nous étions en attente d’une leçon de journalisme, pas style ESJ ou Lille, non, du réel, du concret, du sérieux.
Les ventes, passage obligé de ce capital symbolique, difficilement conquis et chèrement préservé, "l’indépendance", il n’y a que cela de vrai. Voilà ce qu’un lecteur, bombardé "accidentellement" juge, souhaitait vous dire. Mais le petit juge n’oublie pas qu’avec Edwy Plenel, Le Monde créait l’événement, mieux que cela Le Monde était le journal dont on parlait. Bref, chaque jour, vous faisiez la course en tête.
Le Figaro (4 janvier 2006) nous annonce que vous souhaitez lancer un quotidien "réellement indépendant" (sic). Il m’est évidemment facile de vous renvoyer à une phrase de Robert Hersant, qui demeure plus que jamais d’actualité : " La liberté de la presse débute et s’arrête au tiroir-caisse ". Pourtant, il y a certainement une place pour une "feuille" à la pagination modeste mais aux vues pénétrantes, qui nous surprendrait chaque jour. Et donc nous donnerait envie de l’acheter.
Au fait, vous auriez pu consacrer un troisième chapitre à cette énigme, qui n’en est pas une : pourquoi les gens n’ont-ils plus envie d’acheter Le Monde, Le Figaro et compagnie ?
Vous permettrez aussi au "juge" de relever une contradiction - de taille, à ses yeux - dans vos propos, et de vous chercher querelle à ce sujet :
"Au Monde , je ne m’occupais que de la marche rédactionnelle du seul quotidien, tâche qui suffisait amplement à remplir mes journées", écrivez-vous page 141. Ceci va totalement à l’encontre de ce qu’on peut lire page 97 : "J’écrivais des livres, j’animais une émission de télévision". Une certitude : le rédacteur en chef d’un quotidien aussi lourd à fabriquer que Le Monde qui trouve le temps d’écrire des livres et de faire don de sa personne à la pieuvre audiovisuelle ne dort pas.
Voilà qui aurait pu déboucher sur un autre chapitre tout aussi passionnant : comment Edwy Plenel parvenait-il à faire trois métiers à la fois (journal, livre, télévision) ? Chez les politiciens, on appelle cela le cumul. Mais eux, c’est bien connu, disposent d’une armée de petites mains et de plumes diverses et variées. Tandis que le travail d’Edwy Plenel relève de l’artisanat à l’état pur. La prose Edwy Plenel ne peut être que le fait d’Edwy Plenel. Le talent, ça ne se délègue pas.
Amitiés.
Le rat des champs.