Libé et les « banlieusards des médias »

par Gérard Ponthieu
jeudi 22 décembre 2005

À propos de Libé et de son malaise, je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement entre la récente, sauvage, violente grève de sa rédaction et la révolte des banlieues.

Il y a dans la presse de nos pays, et du nôtre en particulier, tout un peuple souffrant, ignoré, méprisé parce que non reconnu, mal aimé. Libération - entre autres journaux - serait-il aussi atteint par ce mal ? Lequel mal aurait-il quelque parenté avec la révolte des banlieues ?

Sachons-le, c’est une nouvelle génération de journalistes qui cogne aux murs sourds de la commanderie médiatique frappée par le mal du tout libéral, marchand, financier. Qui ne pourrait lire cette réalité dans la motion de défiance adressée à Serge July, commandeur en chef, atteint et de surdité et de cécité, aggravées de l’entêtement de ces fous de pouvoir qui finissent par tout pourrir - avant de pourrir eux-mêmes, comme nous, nous autres les indispensables promis aux cimetières débordants ?

L’élégance, morale comme politique, voire esthétique, serait de savoir tirer sa révérence en beauté ; de ne pas risquer de décatir en public ; d’accepter l’âge non pas comme un vieillissement, mais comme le sas vers une sagesse possible, souhaitable. Mais ces vieux-là se veulent éternels et, pire encore, éternellement jeunes et puissants, virils, bitus et tout. Ils se trouvent même des jeunes femmes prêtes à cautionner le tour de passe-passe qui revient à transformer des seniors en papas inconséquents et bientôt gâteux.


Tandis que les jeunes générations, toutes confondues, des banlieues aux syndicats, des gazettes aux radios et télés, des associations aux partis, buttent contre le double blindage du fric mondialiste et de la gérontocratie obstinée.

Je sais, je n’ai pas choisi de donner dans la nuance. Pas le moment de faire dans la dentelle.

Peut-être serait-il salutaire que Libération, si important dans notre « paysage », se fasse prendre en thérapie de choc par une bande de « banlieusards des médias »... Qu’ils viennent foutre le feu aux poubelles d’un journalisme assoupi ! Mais d’où pourrait donc venir une telle horde de relève ? Où sont les maos et anars, furibards aux grands cœurs, désireux de refaire le monde, qui en a régulièrement besoin ? Où sont les alter-July-Gavy-Chalandon, et d’autres, qui viendraient secouer le cocotier, quitte à s’aider d’un vieux marchepied sartrien [introuvable de nos jours, certes] ? Dans les écoles de journalisme ? Voyez le futé libelle du jeune François Ruffin et ses « Petits soldats du journalisme » recrutés au CFJ (Centre de formation des journalistes), nourris aux mamelles de l’ « établissement » comme d’autres le sont aujourd’hui à l’école de journalisme de Sciences Po...

N’allons pas chercher bien loin l’explication à l’absence quasi totale de journalistes « colorés » dans les rédactions, surtout audiovisuelles d’ailleurs. Les éventuels candidats ne sont précisément pas candidats aux concours d’entrée dans les différentes écoles : impensable, même dans leurs têtes de « refoulés naturels » !

Concernant la crise à Libé, j’ai apprécié l’analyse qu’en propose Philippe Cohen dans Marianne [10-12-05] :

« Même si personne ne l’avoue, la crise de Libération est aussi idéologique : c’est celle d’un groupe d’ex-soixante-huitards qui, aimanté sur le tard par la mondialisation néolibérale, séduit par ses élites, n’a pas perçu, au tournant des années 1990, la « barbarisation » du nouveau capitalisme et la paupérisation à venir des classes moyennes, dont Libération aurait pu devenir le porte-drapeau. Les responsables de Libé n’ont rien vu venir : ni la panne de l’ascenseur social, ni le chômage des cadres, ni la dégradation des conditions de vie des petits fonctionnaires, ni la crise de l’idéal européen, ni la faillite du jospinisme, ni le non au référendum. Une partie de la rédaction, elle, plus en contact avec le réel, a fini par réagir. Du coup, le quotidien est devenu incohérent (pluraliste, disent les plus optimistes). »

« Quand le reporter de Libé défend les pêcheurs, les agriculteurs ou les ouvriers « en mouvement », l’éditorialiste et le titreur du journal promeuvent la nécessité de s’adapter à la modernité du marché. À quoi bon sauver des professions « ringardes » ? En fait, l’éditorial et la une énervent les lecteurs altermondialistes, tandis que le reportage agace ceux qui pensent comme l’éditorialiste. »


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