Libération : Rothschild change la vaisselle
par LM
mardi 13 juin 2006
Le quotidien au losange rouge et aux jeux de mots réputés tente une nouvelle coupe. Edouard de Rothschild, son actionnaire argenté, se débarrasse de Serge July avant d’injecter quelques liquidités supplémentaires. La moustache de Plenel serait pressentie pour remplacer la barbe de Serge.
Un peu d’histoire : d’abord journal de la résistance, fondé par Raymond Aubrac et Emmanuel d’Astier de la Vigerie, Libération s’appelait Libération Sud. Avec Combat, il sera un des plus importants journal de la Résistance. Cette première mouture paraîtra jusqu’en 1964, avant une deuxième édition du journal, qui devient Libération tout court, en 1973, avec à sa tête Jean-Paul Sartre et Serge July. Sartre sera le directeur de publication jusqu’en 1974.
En 1981, Serge July inaugure la troisième édition du quotidien, celle qu’on connaît aujourd’hui. Moins « gauchisant », le journal deviendra le quotidien fétiche d’une certaine jeunesse, d’une certaine gauche, de certaines vedettes. C’est le début des années 1980, les radios libres et tout le tintouin fait autour d’une gauche inespérée, qui donne de l’élan au pays. On voit des petites mains jaunes au revers des vestes, on assiste au début de la charité-business avec les concerts du BandA id pour l’Ethiopie.
Et puis ce Libé-là, c’est aussi Coluche, sa vie sa mort, des unes inoubliables, celle de la mort de Gainsbourg, la mort de Signoret, plus proche de nous l’hommage rendu à Cobain. Libé c’était le seul quotidien « rock » existant. C’était aussi les petites annonces cochonnes, qui ont duré longtemps, c’était Duras qui écrit à Christine Villemin, enfin bon je cite en vrac, mais c’était un journal atypique, très différent du Monde, très différent de France Soir, du Parisien, ou du Quotidien de Paris. Et du Figaro aussi.
Libé, c’est une sorte de quotidien des jeunes. Parce qu’il faut bien utiliser encore le présent, le titre n’est pas mort, même si L’Express, donc, annonçait hier sur son site le départ de July. Départ souhaité par Edouard de Rothschild, qui veut bien avancer encore quelques sesterces pour sauver le journal, mais sous réserve que July quitte ses fonctions.
Désireux d’assainir les comptes du journal, Rothschild, actionnaire détenteur de 35% du capital, a déjà injecté 20 millions d’euros, mais ces 20 millions sont partis en fumée, dévorés notamment par la mise en place de suppléments coûteux. Pour passer l’été, le quotidien a besoin d’argent frais. Il en est là. Faire en sorte de survivre à l’été ! Il faut dire que les ventes du quotidien ne cessent de dégringoler depuis des années, passées de plus de 174 000 exemplaires distribués chaque jour en 2001 à un peu plus de 140 000 en 2005. Loin de ses concurrents, très loin même : Le Monde, qui n’est pourtant pas en grande forme, se situe lui aux alentours de 370 000 exemplaires jour.
Libé ne va pas bien, les actionnaires veulent faire des économies. Rothschild et July, qui se sont rencontrés plusieurs fois pour discuter d’éventuelles solutions, ne sont jamais tombés d’accord, et la dernière discussion a fait déborder le vase. Rothschild accepterait donc de lâcher à nouveau ses billets à condition que July s’en aille. Ce dernier aurait, selon L’Express, accepté le principe, et « négocierait son départ » Une chose en tout cas, semble établie, toujours selon L’Express : July ne sera pas le seul à partir. Le directeur général, Louis Dreyfus, et le directeur de la publication, Antoine de Gaudemar, feraient aussi leurs valises.
Un vrai tournant, un virage donc radical pour Libé. Et qui pour remplacer ce beau monde, si j’ose dire ? Un seul nom avancé par L’Express, celui d’Edwy Plenel, un ancien du Monde, justement, qui s’est empressé de démentir. C’est comme dans le foot : ça commence par un démenti, ça finit par un contrat.
A propos du foot, pour la Coupe du monde, Libé, qui possède sans doute un des meilleurs sites Internet de la presse quotidienne, a lancé un concours de commentaires. Vous commentez un match en direct, vous l’enregistrez sur votre MP3, avec les hurlements et tout, et Libé.fr diffusera les meilleurs.
C’était ça Libération, ancienne formule. Un peu n’importe quoi, parfois, mais encore pas mal de singularité. Un certain ton, une certaine allure. Pas de quoi grimper aux rideaux, mais bien plus agréable à lire que Le Monde ou Le Figaro.
Qui sait aujourd’hui où va Libé ? Depuis qu’il s’est entiché d’une particule, le flou domine.