Lorsque Libé fait l’éloge de l’insécurité et de l’islam : subversion ou bien-pensance ?
par Douglas Barr
samedi 21 août 2010
Libération est certainement le journal le plus subversif du moment. Ne riez pas ! Sa ligne éditoriale - en matière de société - est proprement hallucinante et provocante. Dans le contexte actuel, sécuritaire et vaguement « islamophobe », et alors que le gouvernement vient de lier, sans aucun complexe, immigration et insécurité, s’engouffrant dans le sillon creusé il y a plusieurs décennies par le Front national, le quotidien de gauche (caviar) prend ce sillon à contre-courant avec une vigueur folle, et s’affirme comme le pôle de résistance absolu et systématique au sarkozysme. Quitte à sombrer parfois dans l’outrance.
Nicolas Sarkozy s’était largement fait élire en 2007 sur le thème de la sécurité, et grâce à son offensive contre l’islam, fustigeant pêle-mêle l’excision, la polygamie et l’égorgement du mouton dans la baignoire. Depuis, les cités qu’il avait promis de passer au Kärcher ont de nouveau flambé, comme récemment lors des émeutes de Grenoble, et les faits divers les plus sordides se sont multipliés, avec, par exemple, le massacre d’un conducteur au bord de l’A13. Concernant l’islam, pour ne citer qu’une seule entrave à la laïcité, les prières dans la rue Myrha (18e arrondissement de Paris) tous les vendredis sont presque devenues une coutume, dans l’attente d’une hypothétique mosquée en 2012.
Début juillet, le président de la République voit sa cote de popularité atteindre un minimum historique (26 % d’opinions favorables), tandis que Marine Le Pen tire seule les marrons du feu, progressant dangereusement dans la perspective de 2012, où d’aucuns imaginent déjà un 21 avril à l’envers. C’est alors que Sarkozy renfile son vieux costume de super flic, et durcit le ton.
Sarko et ses vieilles recettes
Fin juillet, il lance une proposition audacieuse, la déchéance de nationalité pour les criminels d’origine étrangère qui attenteraient à la vie des forces de l’ordre : “Toute personne d’origine étrangère qui porte atteinte à la vie d’un policier doit être déchu de sa nationalité française”, déclare-t-il lors d’une visite à Grenoble. Mais la proposition est inconstitutionnelle. Et jamais sans doute elle ne pourra rentrer en application. Mais seule l’annonce compte ; il faut donner l’impression aux Français que Robocop reprend les choses en main. De nouvelles annonces spectaculaires leur auront vite fait oublier la vieille promesse...
Sarkozy lie même explicitement insécurité et immigration et affirme que la nationalité française "se mérite". C’est Le Pen dans le texte. Vingt ans après.
Car Libé semble bien incarner l’idéologie des élites (en opposition flagrante avec celle des peuples), qui considèrent que l’assimilation est une discrimination (à bannir), et que le multiculturalisme est l’horizon moral vers lequel nous devons tendre. Nos cousins québécois connaissent aujourd’hui très exactement la même problématique, et le même fossé entre le peuple et ses représentants.
Enfin, pas plus tard que le 18 août, le quotidien bobo publie un "Eloge de l’insécurité" ! Oui, vous avez bien lu, un éloge de l’insécurité. Ultime provocation ? Ultime subversion ? Signé par l’écrivain Marcel Zang, le texte traite en fait de l’insécurité dans un sens large, presque philosophique ; il s’agit du sentiment d’insécurité que génère l’altérité, l’Autre, pour chacun d’entre nous, ce qui laisse penser que le texte ne prend pas bêtement la défense de l’insécurité telle que chacun la conçoit au premier abord. "L’insécurité est une affaire de sexe, et elle disparaîtra avec le sexe, avec l’Autre, l’altérité. (...) L’insécurité est consubstantielle à la liberté", écrit ainsi Zang.
Mais classé dans la rubrique "Société", et dans le contexte actuel, il ne fait néanmoins guère de doute que l’article se veut une réponse à la politique sécuritaire du gouvernement. Et une phrase comme celle-ci résonne curieusement : "L’insécurité participe de la fiction - tout comme la femme est une fiction pour l’homme et vice-versa. L’insécurité, ou plus justement le sentiment d’insécurité, c’est de l’ordre du fantasme, de la déraison, ce qui n’exclut pas une certaine logique."
La fin de l’article verse dans une dimension clairement sociale : "Et dans toute société, établie forcément comme Centre, autrement dit « supérieure », détentrice du « commencement » et donc d’origine et de pureté, tout élément allogène est perçu comme hostile, menaçant, impur, c’est-à-dire porteur de sexe et susceptible de (re-)créer le rythme, la couleur, le mélange du péché originel. En un mot, tout corps apparemment extérieur au groupe constitué est perçu comme potentiellement violent parce que subversif et, bien sûr, « inférieur » et impur. Aussi, rien de plus logique que l’étranger, ou celui qui est vu comme différent, soit une figure emblématique de l’insécurité et du risque, et dans toutes les sociétés."
On se demande si ce texte - difficile à décrypter - ne réhabilite pas le fameux "sentiment d’insécurité", ce fantasme pour la gauche d’avant 2002, qui lui fit pourtant connaître sa plus cinglante défaite. L’insécurité semble ici vidée de tout contenu réel, presque niée, réduite à sa dimension psychologique. C’est l’autre en tant qu’autre qui ferait peur, indépendamment de tout acte. La subversion, si tel est bien le sens du texte, touche au grandiose - et va en énerver plus d’un.
On pourrait envoyer ce beau texte à méditer à Romain, très prosaïquement confronté à l’insécurité réelle, et qui témoignait récemment de sa déconvenue sur RMC. Lui, ce n’est pas tant sa rencontre avec l’altérité qui l’a troublé, que celle avec un gros molosse de deux mètres, 130 kg, voleur de bagnole, et terreur de son quartier, venu le terroriser, lui, sa femme et ses enfants, en pleine nuit, pour lui réclamer du fric. Libé ne consacrera sans doute pas un article à Romain, ce plouc à qui la police a conseillé de déménager s’il voulait rester en vie. Trop démago comme story...