Maître Collard chante pour Vichy : l’incroyable intox du Nouvel Obs !

par Taïké Eilée
dimanche 25 septembre 2011

Le journalisme est mort. Ou presque... Démonstration accablante au travers d'un exemple stupéfiant.

Je viens de regarder, ce samedi soir, l'émission de Laurent Ruquier On n'est pas couché, très peu intéressante il est vrai, mais on ne fait pas toujours des choses intéressantes dans la vie... Un micro-événement me choque : non pas que Christophe Hondelatte, ce journaliste qui s'essaie à la chansonnette, ait quitté le plateau, ulcéré par les critiques trop sèches de Natacha Polony. Non, ce qui m'a choqué, c'est que, dans la séquence du "mur d'images", durant laquelle les invités sont amenés à faire un commentaire sur une personnalité faisant l'actualité et dont le visage leur est présenté, soit sortie la tête de l'avocat Gilbert Collard, et que cette apparition ait donné l'occasion au comédien Gérard Darmon d'insulter celui qui est devenu le président du comité de soutien de Marine Le Pen. Collard s'est vu traiter de "petit con", rien de très original... et Darmon, fin politologue, l'a situé "légèrement à la droite d'Hitler au niveau des idées". Dans une émission qui a décidé de boycotter Marine Le Pen, et qui ne donnera sans doute jamais la possibilité à Collard de répondre, je trouve cela tout de même affligeant : car insulter des gens en leur absence, je n'ai jamais trouvé ça très classe, ni très démocrate, c'est même très lâche, quels que soient les gens en question. Une attaque, ça se fait face à l'adversaire, et sinon, on lui donne le droit de répondre.

Mais surtout, tout le plateau s'est foutu du célèbre avocat, parce qu'en 2008 le bougre était candidat radical (de gauche) à la mairie de Vichy... vous savez, la ville des "collabos", des "fachos"... des frontistes donc ? Le raccourci a fait rire tout le monde, tous ces "démocrates" qui se défoulent sans gêne sur ceux-là mêmes à qui ils interdisent l'accès au débat. Audrey Pulvar se sentant même obligée de rajouter que cet épisode datait d'"après la collaboration". Le vieux franc-maçon qu'est Gilbert Collard, dont le combat jadis contre Jean-Marie Le Pen est resté célèbre (il n'est d'ailleurs toujours pas vraiment ami avec lui...), et qui n'a cessé de dire qu'il quitterait Marine Le Pen sur-le-champ si elle tolérait que des propos racistes soient encore tenus dans son parti, appréciera. Mais le meilleur restait à venir... Car Collard, nous dit-on, avait enregistré un disque à l'occasion de cette campagne électorale, et Ruquier, hilare, nous en fait justement écouter un extrait à l'antenne. L'occasion, une nouvelle fois, de se foutre de lui, tous ensemble.

L'extrait de l'émission a été mis en ligne sur YouTube

Mais dès cette première écoute du "chanteur" Collard, je sens que quelque chose cloche, je ne reconnais pas sa voix... Je m'en vais donc après l'émission sur le Net tenter de retrouver, en vidéo, ce passage (voir la rediffusion d'On n'est pas couché, à 3h09), et je tombe alors par hasard sur une perle : une "exclusivité" du site du Nouvel Observateur, parue le 20 septembre 2011 sous la plume d'Agathe Logeart.

Le canard dirigé par Laurent Joffrin est tout fier de nous sortir ce scoop au sujet de Gilbert Collard, décidément dans le collimateur de nombre de médias : il aurait enregistré une chanson ridicule et risible à l'occasion des dernières municipales en 2008. Notez au passage le jeu de mots du titre "maître et chanteur", qui suggère évidemment l'expression "maître chanteur"... Voici donc la fameuse chanson :

Présentation de la vidéo sur le compte Dailymotion du Nouvel Obs :

La chanson ayant été retirée, le 26/09, du compte Dailymotion du Nouvel Obs, la revoici pour écoute

Je cite encore le Nouvel Obs, qui commente sa trouvaille : "Le document sonore que Le Nouvel Observateur verse au dossier aurait dû devenir un morceau culte, s’il n’avait, curieusement, été retiré de tous les sites internet où il a été diffusé, notamment celui de Maître Mô, avocat anonyme et lillois, d’où il a désormais disparu. L’Obs a retrouvé ce document hilarant, qu’il diffuse ici en exclusivité. Il s’agit d’une chanson utilisée comme tract électoral par l’avocat marseillais, lorsqu’il a, après un premier échec en 2001, tenté une nouvelle fois en vain de ravir la mairie de Vichy à Claude Malhuret en 2008. Dans ce morceau, co-écrit avec son ami Gérard Berliner (l’auteur de "Louise", mort en 2010), Gilbert Collard, d’un joli filet de voix, promet de s’installer durablement à Vichy : "Je m’offre tout entier, je dépose à tes pieds, mon verbe et mon bagage.""

Gérard Berliner

Le Nouvel Obs nous affirme donc que c'est Gilbert Collard qui chante ; on vante même son joli filet de voix... Tellement joli, qu'à la toute première écoute, je me suis dit que ce n'était pas lui qui chantait... Ça me saute aux oreilles. D'autant que Gilbert Collard se met effectivement à parler à la toute fin de la chanson, à partir de 3 min 55, et sa voix ne ressemble en rien à celle du chanteur. Je lis les commentaires de l'article... Bizarre, personne n'a remarqué la supercherie, alors que les internautes sont souvent très prompts à débusquer les intoxications. Je vais sur Twitter. Idem, tout le monde marche et croit que c'est Collard qui chante. Sur Facebook, aucun commentaire critique non plus... La chanson révélée est, au contraire, l'occasion d'insulter de plus bel l'avocat ("Gilbert Gros Lard"...). Je vais sur d'autres sites de presse, qui reprennent tous sans broncher l'info du Nouvel Obs : Le Post, Sud Ouest, La Montagne...

Dans Sud Ouest, on se réjouit même des mérites d'Internet, qui permet de ne rien oublier, et de retrouver quand on s'y attend le moins des documents compromettants pour tel ou tel acteur politique :

"Rien ne se perd sur internet. Un document a-t-il été effacé de partout qu'il resurgit d'un disque dur taquin au moment où on s'y attend le moins. Le document, c'est un enregistrement de Gilbert Collard, dont l'actualité se confond aujourd'hui avec celle de Marine Le Pen. Le Nouvel Obs, qui consacre un dossier au très médiatique avocat, ressuscite aujourd'hui le document en une de son site internet, enregistrement hébergé depuis trois ans aux tréfonds du blog de Maître Mô.

"Aimer une ville, la désensorceler, savoir lui parler, savoir la rendre heureuse..." Il s'agit rien moins que de l'enregistrement au format MP3 d'une chanson spécifiquement composée par Gérard Berliner pour les besoins de la campagne électorale dudit Gilbert Collard. Lequel était (re)parti, en 2008, à la conquête de la ville thermale et charolaise (des mots ont ici leur importance) de Vichy.

L'avocat y pousse la chansonnette avec conviction, pas trop ridicule, vu les circonstances, pour ce qui est du timbre de voix. Pour le reste, chacun appréciera..."

La Montagne, de son côté, exhume pour appuyer sa démonstration la pochette du disque... Or, sur cette pochette, même si c'est écrit en tout petit, on peut lire que l'interpétation de la chanson est celle de Gérard Berliner, qui est aussi l'auteur des paroles et de la musique... Car, en effet, ce n'est pas Gilbert Collard qui chante, mais bien Gérard Berliner. Encore heureux donc que Sud Ouest ait jugé que le chanteur n'était pas trop ridicule... dans la mesure où chanter, c'est précisément le boulot de Gérard Berliner ! La Montagne note d'ailleurs une ressemblance de la voix supposée de Collard avec celle d'un autre chanteur, mais ne perçoit pas l'évidence : "Sur un air de guitare et avec une voix qui rappelle parfois celle du chanteur Nicolas Peyrac, Collard parle de redonner la flamme à Vichy."

Sur ce site consacré aux bides de la musique, on peut lire en toutes lettres que l'interprète de la chanson "Aimer une ville" est Gérard Berliner, et on peut même l'écouter. En 2008, à l'occasion des élections municipales, Le Mague avait interviewé Gilbert Collard, et dans le premier commentaire de l'article on peut lire : "Comme le chante Gérard Berliner (dans le clip de campagne)..." Eh oui, Internet permet de retrouver beaucoup de choses... encore faut-il savoir s'en servir ! L'intox touchant Collard est d'une telle grossièreté qu'elle ne peut manquer de rappeler celle survenue au moment de l'annonce de la mort de Ben Laden, dont on avait exposé la photo du visage, ou encore le fake sur Jean Sarkozy, que certains médias avaient osé diffuser comme des informations sérieuses, alors qu'à chaque fois le trucage était manifeste.

Pour finir de vous convaincre de l'identité du chanteur, il n'y a qu'à vous proposer d'écouter chanter Gérard Berliner et de comparer sa voix avec la vidéo "exclusive" du Nouvel Obs :

Louise

Aimer c'est plus que vivre

Gérard Berliner, avec Michel Drucker, parle de son spectacle "Mon alter Hugo"

Gérard Berliner est mort le 13 octobre 2010 d'une crise cardiaque à l'Hôpital Necker à Paris. L'intox du Nouvel Obs, suivi servilement par une partie de la presse française, m'aura au moins permis de découvrir cet artiste, malheureusement disparu trop tôt.

----------------------

PS : Ce dimanche, Gilbert Collard a vigoureusement réagi sur son blog au dossier à charge que Le Nouvel Observateur, dans sa version papier, lui a consacré (mais il n'a, semble-t-il, pas pris encore connaissance de "l'exclusivité" de la version web). Il taille un costard à la journaliste Agathe Logeart, et, petite pique méchante et vengeresse, publie une photographie issue de l'album de famille de Pierrette Le Pen (l'ancienne femme du chef du FN) qui nous montre, torses nus et tout sourires, lors de belles vacances d'été, le jeune Laurent Joffrin, futur patron du Nouvel Obs, aux côtés de Jean-Marie Le Pen. C'est peut-être pas très classe, mais c'est de bonne guerre, dira-t-on.

Mise à jour (26/09/2011, 11h20) : Gilbert Collard réagit ce matin, dans les Grandes Gueules de RMC, aux propos de Gérard Darmon, qui l'a comparé samedi soir dans On n'est pas couché à Adolf Hitler. Il annonce qu'il va porter plainte contre le comédien. Surtout, il confirme qu'il n'est pas l'interprète de la chanson "Aimer une ville", mais que c'est bien Gérard Berliner : "Ils sont tellement nuls qu'ils ne se sont même pas rendus compte que c'est la voix de Berliner", lâche-t-il. A noter que les journalistes de RMC ont cru, eux aussi, reconnaître la voix de Collard ; ce qui pose une sérieuse question quant à la qualité de l'audition de nos journalistes, car les deux voix ne se ressemblent vraiment pas.

Mise à jour (26/09/2011, 11h50) : La vidéo de la chanson "Aimer une ville" vient d'être retirée du compte Dailymotion du Nouvel Observateur. Elle avait été faussement intitulée : "Quand Gilbert Collard chantait pour gagner Vichy".

Le site du journal La Montagne vient de supprimer son article erroné. Il avait la particularité d'avoir relayé la fausse information du Nouvel Observateur en l'illustrant avec la pochette du disque, sur laquelle on pouvait pourtant lire distinctement que Gérard Berliner était l'interprète.

Mise à jour (27/09/2011, 17h30)  : La vidéo mensongère du Nouvel Obs a été republiée sur Dailymotion. Par ailleurs, ni Le Post, ni Sud Ouest, ni Le Nouvel Observateur n'ont corrigé leurs articles erronés. La désinformation continue donc...

Rappel : selon la Charte de Munich, ou Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, les journalistes ont le devoir de "rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte".

Mise à jour (28/09/2011, 19h00) : Le site de Sud Ouest a supprimé son article, qui reprenait la fausse information du Nouvel Observateur.

Mise à jour (2/10/2011) : Une semaine après la publication de cet article, Le Nouvel Obs et Le Post n'ont pas corrigé leurs articles mensongers, et ont sciemment refusé de respecter la Charte de Munich. La Montagne et Sud Ouest ont, eux, reconnu leur erreur et fait leur devoir en retirant leurs articles erronés.


Lire l'article complet, et les commentaires