Médiacratie ressemblative, un nouveau Moyen Age

par Bernard Dugué
lundi 25 septembre 2006

 

Cette semaine sur France Inter, le médiologue Régis Debray s’est penché sur la réaction du monde musulman en évoquant la promiscuité médiatique, entendant par là le relais par les journaux, les chaînes de radio et surtout la télé, de quelques faits ou paroles censés heurter la sensibilité de ces pays, dirigeants et populations compris. Salman Rushdie, les caricatures de Mahomet, la loi sur le voile islamique, les propos de Benoît XVI ont déclenché la colère. On constate donc l’impact important des médias dans la vie des sociétés. Cette promiscuité médiatique met les événements et les personnes en relation de voisinage. La promiscuité physique réunit les individus dans un espace réduit, engendrant souvent des tensions, conduisant le groupe à se dissocier. La promiscuité médiatique rapproche de manière médiate, par le biais des consciences impactées avec les images et les mots. Et les gens se rassemblent. Ce même dispositif est à l’origine des bulles médiatiques organisées autour de Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Contrairement à l’effet de colère et d’aversion, c’est l’autre face qui est sollicitée, celle de la séduction. Nico et Ségo séduisent, c’est incontestable, avec un zeste de sensualité et de glamour, pâle érotisme, accompagné de quelques stars elles-mêmes fabriquées peu ou prou par le dispositif de promiscuité médiatique.

Ainsi, les gens se massent dans les stades pour assister au concert de leur idole, Johnny, les Stones, U2 et même Bigard ; et dans la rue pour fêter les footballeurs. L’homme semble grégaire et mimétique. Des populations musulmanes en colère brûlant des drapeaux occidentaux, des individus en extase admirant les stars. Et si les vœux des deux grands partis se réalisent, les électeurs voteront en masse pour les deux séducteurs du paysage politique français. Autre nation, autre séduction, le phénoménal Berlusconi, viré de justesse par il professore Prodi. Evoquant ces phénomènes, Umberto Eco voit un populisme médiatique consistant à élire non pas un représentant mais un ressemblant. Nous voilà passés de la démocratie représentative à la « médiacratie ressemblative ». Selon Eco, ce type de fonctionnement présente une parenté avec le fascisme, sans en posséder la virulence ni la violence. Avaler les discours et les images des candidats se fait avec la servitude volontaire des cerveaux citoyens et n’a rien de dégoûtant. Ce n’est pas de l’huile de ricin, quoique quelques intellectuels puissent trouver rances les propos de Ségolène ou de Nicolas.

Ecoutons Foucault s’exprimer dans le premier chapitre de Les mots et les choses ; il y est question d’une épistémè médiévale organisant et limitant le monde avec comme ressort la ressemblance : « Comme catégorie de pensée, elle applique à tous les domaines de la nature le jeu des ressemblances redoublées ; elle garantit à l’investigation que chaque chose trouvera sur une plus grande échelle son miroir et son assurance macroscopique [...] Par ce fait même, la distance du microcosme au macrocosme a beau être immense, elle n’est pas infinie [...] La nature, comme jeu des signes et des ressemblances, se referme sur elle-même selon la figure redoublée du cosmos. » (p. 46) « Les langues ne furent séparées les unes des autres que dans la mesure où fut effacée d’abord cette ressemblance aux choses qui avait été la première raison d’être du langage. » (p. 51)

Partant de ces lignes, nous pouvons tracer une hypothèse en commençant par une paraphrase. La politique, par le jeu des discours, des images et des ressemblances, se referme sur elle-même selon la figure redoublée du vidéocosme. Ce jeu des ressemblances et de la clôture médiatique répond au besoin d’une majorité d’individus, ceux qui ont besoin de repères et se perdent dans l’infinie toile des communications avec l’étrangeté des personnages différenciés dans la société. Avoir un monde assuré, avec ses stars, ses journalistes, ses people et ses figures politiques rassure et résout l’inquiétude que, selon Bruce Bégout, chaque individu face au quotidien tente de dompter. De ce fait, nous pouvons tracer un schème évolutif de l’humanité occidentale, avec dès le XVIe siècle le temps des découvertes, des explorations, des singularisations, des personnifications, des esthétisations, produisant différents types d’homme. Mais par l’effet des techniques modernes doublées de l’existence urbaine, des régressions, parfois vers la barbarie, ici, dans ces phénomènes de ressemblances et d’adhésion, nous voyons se dessiner une néoténie sociale. Rappelons que la néoténie désigne, pour l’homme et pour l’animal, l’apparition ou la conservation de caractères juvéniles. Eh oui, une société retombant dans son enfance médiévale, jouant des ressemblances et craignant les différences qui ont le don d’élargir les consciences. Mais le monde n’est pas achevé et gageons que certains ont pris la voie de l’élargissement de la pensée, rééditant le geste de Copernic à l’intérieur de soi : passer de son univers clos des ressemblances à l’infini des expériences. Les explorateurs devraient coexister avec l’espèce nouvelle apparue qu’est l’adulescent, néologisme inventé par Michel Serres et tombant à point pour illustrer ce propos. L’adulescent aime Nicolas ou Ségolène, il remplit les concerts de Madonna en propulsant les blockbusters au sommet du box office. Il assure le chiffre d’affaires des majors faisant le commerce des produits concoctés par Plamondon, Cocciante ou Barbelivien. De là aussi le succès des Amélie Poulain et autre Camping. Parfois, l’adulescente reçoit une fessée, comme cette militante du PS mouchée par Madame Royal !


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