Mme Daničle Mitterrand : le secret, ce revers de l’information

par Paul Villach
mercredi 23 novembre 2011

Verba volant, scripta manent  », les paroles s’envolent les écrits restent. Rien n’est plus redoutable que la relecture de certains écrits quelques années après. Comment est-il possible qu’un homme politique intelligent et avisé puisse avoir soutenu pareille ânerie dans un livre ? « (…) Le citoyen téléspectateur détient donc le savoir, a-t-il écrit. Il a vu, de ses yeux vu, l’accident, l’attentat, la scène qui fait la décision. Il n’est pas un élément d’information, pas un fait qui demeure dissimulé au téléspectateur assidu. Les gouvernants n’en savent pas plus que lui et n’en pensent pas davantage. (…) (1)

N’est-ce pas entretenir l’illusion de l’exhaustivité de l’information livrée par les médias qu’interdisent pourtant les contraintes rigoureuses qui s’exercent sur toute « relation d’information » ?

La contrainte de l’exiguïté du temps et de l’espace de diffusion

L’une est d'abord une impossibilité matérielle, la contrainte de l’exiguïté du temps et de l’espace de diffusion. Temps d’antenne et pages de journaux restent très limités en regard de la masse d’informations qui affluent chaque jour. Les médias sont contraints de faire un tri draconien qui exclut infiniment plus qu’il n’élit. Une image illustre très bien cette opération : c’est celle du tonneau et de la bouteille. Le contenu du tonneau d’informations disponibles ne peut être transvasé intégralement dans la bouteille de l’espace et du temps réduits de diffusion qu’offrent les médias. Même un enfant peut comprendre ça !

La contrainte des motivations de l’émetteur

Une autre contrainte qui s’exerce sur la « relation d’information » est celle des motivations de l’émetteur  : elles obéissent prioritairement à un réflexe de survie. Qui donc ne choisit pas les informations qu’il transmet en fonction de ses intérêts propres ? Les enfants l’apprennent très tôt en dépit d’une éducation qui leur enjoint de dire toujours la vérité. Car ce réflexe vital de survie est plus fort que tout : même l’enfant pris les doigts dans la confiture et l’adulte, la main dans le sac, sont capables de se récrier : « C’est pas moi ! ».

Alphonse Daudet a joliment illustré ce réflexe inné dans un des « Contes du Lundi  » (1873), intitulé « Le Pape est mort  » (2) . Un écolier fait régulièrement l’école buissonnière et se promène en bateau sur une rivière à en oublier l’heure de la sortie de l’école, Aussi doit-il inventer chaque fois un bobard pour expliquer à sa mère son retard. La pauvre femme est assez naïve pour gober chaque jour une nouvelle catastrophe supposée à l’origine de la rentrée tardive de son chenapan de moutard. Un jour, à court d’idées, le gamin annonce tout de go à sa mère qui l’interroge sur son nouveau retard : « Maman, si vous saviez ! ... Le pape est mort !  » Télévision et radio n’existaient pas alors, presse et bouche-à-oreille étaient les seuls médias de masse. L’enfant savait sa mère un peu bigote. La malheureuse chancelle contre le mur de la maison et ne songe plus à questionner son garnement : le leurre de diversion a une fois de plus fait son effet.

Si la malignité peut dicter cette conduite, c’est avant tout la nécessité qui contraint l’individu à choisir les informations qu’il délivre. « La relation d’information » repose sur un principe intangible qu’un politique avisé ne saurait ignorer : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire.

L’illusion de l’iceberg

Il s’ensuit donc que nombre d’informations restent secrètes et ce sont les plus importantes. Contrairement à ce qu’affirme l’auteur de ces affirmations naïves citées plus haut, les médias ne livrent pas une information exhaustive. Il n’est pas un individu, une famille, un groupe, une profession, un parti, une institution, un État qui n’ait pas de secrets à préserver. Deux événements viennent ces jours-ci le rappeler utilement.

- Le secret judiciaire

L’un est le viol et le meurtre d’une jeune fille à Chambon-sur-Lignon par un élève de son établissement scolaire. On apprend , en effet, que le chef d’établissement avait accueilli le meurtrier soupçonné sans même avoir été informé de ses antécédents criminels, au nom du secret gardé par les services judiciaires en charge de sa réinsertion.

- Le secret personnel et familial

Le second événement est la mort de Mme Danièle Mitterrand, le 22 novembre 2011, qui offre l'occasion de se souvenir des épreuves de sa vie. Épouse de son président de mari, elle n’a jamais divorcé alors qu’il vivait depuis 1974 avec une autre compagne dont il avait eu une fille. Il a fallu attendre 20 ans pour que les médias en parlent en 1994. Entre temps, elle jouait officiellement son rôle d’épouse du président de la République, comme si de rien n’était. Mitterrand entendait offrir de lui l’image de l’époux fidèle pour ne pas compromettre son élection en faisant fuir des électeurs qui n’auraient pas toléré sa double vie.

De même a-t-il caché sa maladie dès qu’il l’a apprise après son élection en novembre 1981 : il ne voulait pas offrir à ses rivaux et ennemis une arme pour l’écarter du pouvoir. Cette dissimulation lui a permis de se faire réélire pour un nouveau mandat en 1988.

On imagine donc bien que l’essentiel est le plus souvent caché aux téléspectateurs comme aux autres citoyens : l’illusion de l’iceberg qui dissimule plus qu’il ne montre, est une image fidèle de « la relation d’information ».

On reste donc médusé devant une analyse aussi naïve de l’information faite par un homme politique réputé sérieux et qui, de surcroît, a été ministre de l’Éducation nationale. C’est dire quelle théorie erronée de l’information est enseignée par cette institution ! Comment l’expliquer ? Les Romains avec Tibère ont depuis longtemps répondu à la question par cette maxime adoptée, dit-on, par Louis XI : « Qui nescit dissimulare, nescit regnare  », qui ne sait pas dissimuler, ne sait pas régner. Cette prétendue exhaustivité de l’information livrée par les médias, dont parle cet homme politique, n’est en fait qu’une illusion entretenue pour égarer les naïfs,… conformément au principe de « la relation d’information ». Paul Villach

(1) François Bayrou, « Le droit au sens  », Éditions Flammarion, Paris, 1996, p 63.

(2) http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre2311.html#page_243


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