Morale, magouilles et médias

par Philippe Bilger
mardi 16 mai 2006

Cet épisode est plus signifiant qu’on ne le croit. Dérisoire, il va être méprisé par les intellectuels ou demeurera inconnu d’eux. Il concerne la désignation comme titulaire de Barthez, au lieu de Coupet, comme gardien de l’équipe de France de football pour la Coupe du monde en Allemagne. Fou de foot et de Lyon, j’ai procédé à ma sélection, à l’instar des 60 millions de sélectionneurs français... Coupet, bien sûr, était dans les buts et c’est Barthez, contre mon désir, qui a été choisi ! Il faut croire qu’il y a des postes acquis comme il y a des droits acquis. L’immobilisme frappe partout. Ce qui m’a inquiété ce matin en écoutant les commentaires des journalistes sportifs, c’est que je n’en ai entendu qu’un seul, Dominique Grimaud, critiquer le choix de Barthez au nom de la morale. Ce goal avait craché sur un arbitre, s’était à peine excusé et avait dû effectuer un travail d’interêt général. Apparemment, le sélectionneur n’a pas été effleuré une seconde par le fait que le comportement exemplaire d’un Coupet devait représenter une raison fondamentale pour l’élire et donc donner de la France sportive une belle image. La morale, connais pas. Un luxe inutile.

François Fillon a déclaré il y a quelque temps que 2007 serait l’année de la justice. Avec l’exigence morale, sans aucun doute. Cette intuition est renforcée chaque jour davantage par ce qui se passe et qui amplifie le délitement politique, le malaise judiciaire, la frénésie médiatique et l’incompréhension citoyenne. On est arrivé à un point où on attend avec impatience ce qu’on va lire dans les journaux, non parce que miraculeusement on espèrerait une éclaircie, mais pour se persuader que le pire de chaque jour sera dépassé le lendemain. Et il le sera. Force est de devoir reconnaître la maestria avec laquelle la plupart des médias, notamment le journal Le Monde, orchestrent cette dramatisation de l’information.

On ne se dit pas, sauf si on est hypocrite, que trop c’est trop, parce qu’on sait bien, aussi nauséeux que soit le feuilleton, qu’il permettra de mieux appréhender l’avenir et d’orienter ses choix personnels. Les acteurs de ces navrantes péripéties judiciaro-politiques, surtout les politiques, ont cherché il y a quelques jours à allumer des contre-feux classiques. Le principal étant celui qui sert quand la situation devient insaisissable et, de ce fait, lourde de menaces : c’est la faute aux médias.

Avant, tendons l’oreille une seconde. Il y a la réaction de monsieur tout le monde qui n’est pas loin d’affirmer, un peu lassé tout de même, que c’est beaucoup de bruit pour rien, et qu’il faudrait revenir aux choses sérieuses. Il y a la réaction plus technique de quelques blasés, politologues, sociologues et autres, qui viennent doctement nous reprocher de nous passionner pour Clearstream qui n’est qu’un écran de fumée destiné à nous détourner des vrais sujets, du chômage et de la politique internationale.

Mais, bêtement sans aucun doute, on continue à trouver beaucoup d’intérêt à ce leurre !
Les médias seraient coupables parce que, depuis deux semaines maintenant, ils offrent les rebondissements d’une affaire, d’un dossier d’instruction, chaque jour, comme si nous y étions. Gergorin, le général Rondot sont devenus des familiers et le Premier ministre campe pratiquement dans nos foyers. Le Monde s’arrache et je me prends à le parcourir avec une fièvre que je n’avais plus éprouvée depuis longtemps. Cela tombe bien : depuis le départ d’Edwy Plenel, il touche à l’excellence.

Les médias ne sont responsables de rien. En ma qualité de magistrat, je ne peux pas approuver les violations du secret de l’enquête et de l’instruction, mais il n’empêche que je trouve déplacé et inélégant le processus de dérivation qui cherche à se mettre en place. Les journaux créeraient les nouvelles dont ils nous informent, et l’agitation autour d’elles. Il est normal qu’ils rendent compte d’événements que leurs protagonistes jugent naturellement dérisoires mais qui ne le sont pas au regard de la justice et pour la démocratie.

Pour ma part, j’avoue que ce serait un cauchemar de me retrouver dans un pays où nous serions privés, en dépit de son caractère et de ses rebondissements préoccupants, de cette histoire qui nous dit beaucoup. Certes, elle ne relève pas de la politique mondiale et ne fait pas baisser le chômage. Mais sa connaissance éclaire et alerte.

Un an avant une élection présidentielle, les médias auraient-ils même eu le droit de limiter leur impérialisme légitime, celui qui les conduit à soulever les chapes de silence, à révéler les secrets et à mettre en lumière les comportements authentiques de nos dirigeants ?

En 2006, ils ont raison de nous emmener visiter les coulisses.


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