Muselage des journalistes : les temps durs de la presse privée africaine
par Kalachnikov
vendredi 30 novembre 2007
On pourrait bien se demander ce qui se trame actuellement dans la tête des chefs d’États africains. On a l’impression qu’une opération concertée de muselage de la presse est en marche sur le continent. Au moment où ces lignes sont écrites, des journalistes africains continuent à subir la pression croissante des autorités politiques et les arrestations se multiplient un peu partout. Même dans les États traditionnellement reconnus comme étant des démocraties exemplaires, on note actuellement une fréquence accrue des pressions à l’encontre de la presse.
Les faits
Moussa Kaka, un journaliste guinéen de la radio Saranouya Fm, a été incarcéré depuis le 27 septembre 2007 pour des raisons d’ordre politique. D’après les autorités, il serait responsable de complicité en vue de l’attaque d’un responsable nigérien. En termes techniques, cela signifie : « complot contre l’autorité de l’État ». Il est toujours derrière les barreaux. Récemment, Reporters Sans Frontières a lancé un appel aux autorités nigériennes pour une libération immédiate du journaliste.
Plus à l’ouest, au Sénégal, un journaliste du nom de Moussa Gueye (encore un Moussa), chef de publication de L’Exécutif, un quotidien privé sénégalais, continue lui aussi à subir les pressions de la police. Aux dernières nouvelles, Moussa Gueye aurait été transféré à la maison d’arrêt de Dakar, pour inculpation d’« offense en la personne du chef de l’État ».
Le 20 juin dernier, au Mali, quatre journalistes ont été écroués pour des raisons similaires, c’est-à-dire pour « complicité d’offense au chef de l’État » ; il s’agit de Sambi Touré, directeur de publication d’Info-Matin, Ibrahima Fall, du Républicain, Alexis Kalambry des Echos, et Haméye Cissé du Scorpion. Ils auraient publié des articles relatant une partie de la vie privée du chef de l’État malien, son « Éminence » le général Amadou Toumany Touré.
Même si ces deux derniers pays sont traditionnellement connus comme des démocraties exemplaires, les journalistes sont victimes de pressions fréquentes et même parfois d’arrestations qui, pour la plupart, sont juridiquement non fondées, mais politiquement teintées.
À quelques kilomètres de là, en Gambie, les représentants d’Amnesty International et un journaliste continuent de subir les harcèlements des autorités gambiennes. Leur forfait a été de vouloir trop fouiner dans les recoins de l’État gambien, lequel est accusé par plusieurs ONG internationales de mauvais traitements vis-à-vis des prisonniers (principalement politiques), et de non-respect de l’État de droit. Aussi, le président gambien est souvent accusé de faire des arrestations arbitraires et des accusations plutôt extravagantes.
L’argument magique des politiques
Ce qui ressort principalement de ce bref survol, c’est l’argument commun utilisé pour l’inculpation de ces journalistes : « offense à la personne du chef de l’État », « atteinte à la sécurité de l’État », « complicité en vue d’une déstabilisation de l’ordre public et politique », « atteinte à une haute autorité de l’État », « complot contre les intérêts de la nation ». Ces expressions fourre-tout, dont seuls les magistrats ont le secret de la conception, sont les véritables bourreaux des journalistes et des opposants africains.
Et il faut remarquer que la stratégie d’intimidation fonctionne à merveille. Si à chaque fois qu’un journaliste africain publie un article compromettant les intérêts d’une autorité étatique, il se voit envoyer une lettre de convocation pour répondre aux limiers, il n’est pas surprenant de voir une certaine appréhension négative quant au traitement de l’information véritable ; il existe une certaine méfiance par rapport aux informations qui offrent d’office des tickets en direction d’Azkaban (prison des sorciers dans Harry Potter). C’est-à-dire la vraie information qui donne aux populations une compréhension effective des manœuvres obscurantistes et autres opérations douteuses qui, rappelons-le, aspirent la majeure partie des fonds destinés au développement du continent. Il est clair que, dans ce contexte, il est tout à fait logique de faire en sorte qu’il y ait le moins de bruit possible. On vous comprend très bien chers dirigeants.
De l’enfer érythréen au paradis béninois
L’Érythrée détient pour le moment le record africain et... mondial en ce qui concerne les agressions portées à la liberté de presse : fermeture de tous les organes de presses privées, arrestations arbitraires de 15 journalistes depuis septembre 2001 (dont 4 sont morts en prison), arrestations d’opposants, détention du président du syndicat des étudiants, etc. À l’heure actuelle, les journalistes vivent l’enfer du côté d’Asmara.
L’Eldorado des journalistes africains restent pour le moment le Bénin et la Namibie. Dans ces pays, les hommes de presse sont libres de traiter toutes les informations sans jamais être inquiétés. Le Bénin reste, selon le classement Reporters Sans Frontières 2006, le pays où la liberté d’expression est presque permanente. La sauvegarde de cet héritage démocratique doit être une priorité pour les dirigeants béninois et namibiens. Et même, pourquoi ne pas considérer cette liberté de la presse, comme un véritable patrimoine national à sauvegarder comme les autres, ce qui créerait sans doute l’envie des autres chefs d’États africains et en même temps charmerait la communauté internationale qui ne tardera pas à réagir, notamment en haussant les investissements privés.
A part quelques rares téméraires rompus avec ces stratégies de musellement, comme feu Norbert Zongo (mort assassiné) ou le Sénégalais Abdoul Latif Coulibaly (victime actuellement de menaces répétées suite à la publication d’un livre d’enquêtes compromettant les autorités), la majeure partie des hommes de presse africains jouent actuellement la carte de la prudence. C’est pourquoi il n’est pas facile de trouver des Carl Bernstein ou des Denis Robert en Afrique, et pourtant des Watergate et des Clearstream, il y en a presque tous les jours.