Paris, capitale des obsédés ?

par Babar
jeudi 25 février 2010

La semaine dernière Courrier International faisait sa une sur les Parisiens ( Les Parisiens : Quelques raisons de les détester. N° 1007 du 18 févr. 2010).
 
Je suis Parisien, ça m’a intéressé de savoir ce que pense de moi la presse internationale. Je n’ai pas été déçu.
 
Il y a du vrai : les Parisiens sont de mauvaise humeur, pas disponibles, Paris n’est plus la ville lumière, ses nuits sont ternes. Mais, en plus, ce que j’ignorais, c’est que les pervers la sillonnent sexe à la main telles des hordes barbares prêt à violer la moindre petite anglaise qui passe dans les parages.
 
Bref dans l’ensemble, c’est un vulgaire étalage de poncifs et de lieux communs tartinés par des correspondants aussi pressés que Sarkozy en visite officielle.
 
Inutile de passer en revue le détail de ces articles (émanant souvent de la presse anglo-saxonne) souvent à charge contre la capitale.
 
L’un d’eux, pourtant, m’a fait réagir davantage que les autres. Signé Emily Rose, il s’intitule Tous des pervers.
 
Le chapo est un modèle du genre. On se demande si ce n’est pas parodique (où un désir informulé ?). Selon cette journaliste anglaise du Daily Telegraph, « les Parisiens n’ont qu’une obsession : pincer les fesses des filles, exhiber leurs attributs, susurrer des obscénités aux passantes. Et Frédéric Beigbeder n’y trouve rien à redire ».
 
Où est le temps des Adam Gopnik (correspondant à Paris du New Yorker dans les années 90) et des Stanley Karnow (correspondant du Time dans les années 50, ses articles ont été publiés dans le bien-nommé Paris, années 50 publié chez Exils, maison dirigée par Philippe Thureau-Dangin, actuel directeur de la rédaction de Courrier International) ?
 
Il est vrai que ces derniers étaient de vrais professionnels qui ne se contentaient pas de passer quelques jours dans la capitale, mais prenaient le temps de s’y immerger.
 
Aujourd’hui, nous avons affaire à des gens pressés, vaguement branchés, toujours jeunes, ressassant les mêmes poncifs (que sont devenues les nuits parisiennes ?) au point que la visite à Paris devient un petit exercice de style un peu xénophobe sur les bords.
 
Paris est telle qu’elle est. Avec ses bons et ses mauvais côtés. C’est pourquoi l’on s’y rend et les anglo-saxons ne sont pas les derniers. Venir à Paris constitue pour eux une espèce de parcours obligé et "so romantic". Et je ne parle pas seulement des écrivains, des jazzmen, des peintres, bref des artistes en tout genre.
 
Je ne parle pas davantage de l’industrie cinématographique. Il ne se passe pas une année sans qu’une production américaine ne choisisse Paris comme lieu de tournage, Hanckel von Donnersmarck tourne en ce moment The Tourist, remake d’Anthony Zimmer, avec Angelina Jolie. L’an passé c’était Julie et Julia avec Meryl Streep...
 
Bref, entre Paris et les anglo-saxons c’est je t’aime moi non plus. Ce n’est pas nouveau. Aime-t-on Paris comme elle est ou comme on aimerait qu’elle soit ?

Je sais bien qu’à l’égard des habitants de la capitale les provinciaux comme les étrangers ne sont pas avares en critiques. Elles sont parfois justifiées et souvent partagées par les Parisiens eux-mêmes. Comme je le disais plus haut certaines sont tellement rabâchées que je me demande si elles ne font pas partie du folklore local.
 
Par exemple le mauvais caractère légendaire des garçons de café. C’en est presque devenu un étendard. On dirait que certains touristes prennent un malin plaisir à se rendre dans les bistrots juste pour se changer les idées et oublier la bonne humeur bien connue (et un peu contrainte) du personnel des fast-foods...
 
Quant à d’autres, comme Emily Rose, la journaliste du Daily Telegraph, peut-être qu’elles sont insatisfaites et s’inventent des histoires. Soyons clairs. Dans son article (l’original figure ici, avec les commentaires qui ne sont pas tendres), Emily Rose ne parle pas de Casanova ni d’Henry Miller, deux grands libertins - Français, comme chacun sait ! - qui contribuèrent à donner ses lettres de noblesse à Paris.
 
Non elle parle de banals parisiens, vous et moi, bref des hommes qu’on croise tous les jours dans les rues. Enfin, c’est là que ça se complique.

Dès le début, Emily commence fort : " Paris est peut-être la ville des amoureux, mais c’est aussi la capitale des obsédés." Voilà, il suffit d’être une femme et de marcher dans la rue pour le constater.
 
C’est drôle, mais je connais quelques parisiennes et cette question n’a jamais été abordée dans nos discussions. Me cacheraient-elles l’intolérable ? Voient-elle en moi et en tous mes congénères d’horribles pervers ? Portent-elles plaintes chaque jour à la police ? Sont-elles armées d’immenses cisailles destinées à raccourcir nos attributs ? Craignent-elles de marcher dans la rue après 18H30 ?
 
Entendons-nous bien : la journaliste n’évoque pas ici les viols et violences faites aux femmes. Quand bien même, je ne suis pas sûr que Paris soit la capitale des viols dans le monde.

Emily Rose doit être particulièrement affriolante, voire affolante. Peut-être même vient-elle à Paris pour satisfaire des envies qu’elle ne peut étancher en Grande-Bretagne ? Elle confie dès le début de son article qu’en seulement quelques semaines, on lui « a proposé la botte une bonne dizaine de fois. Un jour, devant le passage piéton à Saint-Michel, j’attendais que le feu passe au vert quand un homme qui aurait pu être mon grand-père s’est penché vers moi et m’a susurré à l’oreille : Joli cul

Voilà une jolie fille qu’on complimente et qui n’en montre pas plus d’égard que ça. C’est ce qu’on appelle refuser les lois de l’hospitalité. Belle mentalité.
 
Après, le récit bascule dans la fiction : « Les Français n’hésitent pas non plus à vous faire admirer leurs attributs quand bon leur semble, de préférence en plein jour et dans des endroits publics ». Elle raconte avoir vu un homme de cinquante ans se masturbant au jardin du Luxembourg devant les bambins et les mamans qui visiblement, elles, ne s’en étaient pas aperçues (normal, me direz-vous, ce sont des Françaises, sans doute de mauvaises mères).

« Après plusieurs épisodes de ce genre, j’ai commencé à croire que c’était la norme à Paris. Ou était-ce moi qui attirais les vieux cochons ? » demande Emily.
 
Eh bien Emily, comment te dire... La suite de cette fiction journalistique hilarante est imprévue. Lâchant soudain son thème de prédilection la jolie Miss Rose croise inopinément, presque comme tout le monde, le romancier Frédéric Beigbeder, alors qu’elle feuillette des revues chez un marchand de journaux.
 
Bravant le danger, elle s’adresse à lui tout à trac : « Bonjour, Frédéric. Pouvez-vous expliquer à une étrangère indignée pourquoi il y a tant de pervers à Paris ? ». Réponse de l’écrivain qui, me semble t-il, se moque d’elle (mais elle ne s’en aperçoit pas) : « Mademoiselle, c’est le sport national français. Nous sommes tous des Casanova, quel que soit notre âge. La France a une longue tradition de séduction. Vous n’avez pas lu le Don Juan de Molière ? ».

Quand Beigbeder parle de séduction, la pauvrette pense perversité. Un a priori qui pose question lorsqu’il s’agit d’une journaliste dont le métier est précisément d’en avoir le moins possible.
 

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