Pascal Sevran est encore vivant, mais les médias de Panurge se sont noyés dans les égouts du scoop

par Bernard Dugué
mercredi 23 avril 2008

Le 21 avril au soir, lors du journal de 19 heures, la station Europe 1 annonce la mort de Pascal Sevran, en évoquant des sources sûres. Puis c’est Ruquier qui enchaîne. Si vous voyez dans la fenêtre des articles les plus lus d’Agoravox un vieux papier sur Sevran daté d’il y a un an, c’est à cause de ce buzz médiatique. Les internautes se sont rués sur les nouvelles. Cet épisode médiatique restera sans doute comme un des signes les plus retentissants des dérives médiatiques contemporaines annonçant que le journalisme est sur la pente du naufrage. Eh oui, cette profession a mal vieilli et donne des signes de faiblesse, cherchant à tout prix le scoop, comme un certain Airy Routier dont le nom prononcé dans les cercles médiatiques fait le même effet que celui d’André Rieu à l’Opéra de Paris où à l’Académie de Rome. Le scoop revient à annoncer un événement dont on a l’exclusivité et dont les autres ne disposent pas. Cette pratique est parfois ficelée et les parties en profitent. C’est de bonne guerre marchande. Tout économiste sait que l’un des principes essentiels pour faire de bonnes affaires est de jouer sur la rareté. Quand on n’est pas galeriste ni antiquaire et qu’on ne peut pas espérer tomber sur une belle pièce, alors on s’arrange. Moyennant un contrat juteux, un média peut avoir le privilège d’échanger quelques mots avec une célébrité, prendre des photos et publier un reportage qui permettra d’augmenter les ventes. Ces pratiques sont courantes. Ce ne sont pas des vrais scoops, mais plutôt des exclusivités.

Le scoop repose sur la possibilité d’être sur les lieux d’un événement et de pouvoir en tirer un enregistrement, sous forme de photo, de bande son ou encore mieux, de vidéo. Ensuite, tout dépend de la valeur que la coterie médiatique accorde à l’événement, en fonction de son côté pittoresque et de la notoriété des célébrités. G. W. Bush se grattant une crotte de nez n’a pas une grande valeur. Plus exquise est Rachida Dati racontant que Borloo ronfle et pue des pieds. Ce genre de scoop est du pain béni pour les émissions de Ruquier ou Ardisson. Et que penser d’un type qui dans le WTC aurait pu filmer de près l’événement, l’encastrement du boeing dans une des tours, les paniques des gens, puis décamper du lieu pour sauver sa peau et, surtout, le précieux film. Pour sûr, en monnayant son document, ce type aurait pu assurer la fin de ses jours. Voilà ce qu’est un vrai scoop. Il faut avoir la chance d’être sur un événement, ou bien provoquer cette chance en jouant sur son flair et ses réseaux d’informations.

Les sources sûres, ah, ces fameuses sources, ces indicateurs, à qui l’on doit respect et protection quand il s’agit de révéler des trafics d’armes, des escroqueries politiques, des blanchiments d’argent sale. Ces investigations sont devenues risquées comme l’a confessé Denis Robert qui du reste, n’est pas tendre pour la profession, reconnaissant que, dans cette course, il n’y a pas d’amis ni de soutien et que chacun cherche à être le premier. Mais il y a d’autres sources, faisant dans le people et l’insignifiant. On a connu le SMS de Cécilia, avec le diffuseur du scoop jurant ses grands dieux que sa source était infaillible, tout en reconnaissant ne pas avoir eu entre ses mains la preuve de l’existence de la pièce à conviction. Rien ne nous étonne, dans ce milieu, nombre sont en délicatesse avec ce mot si vénéré il y a quinze ans, faisant l’objet de débats au sein d’une profession se sentant déjà basculer dans la médiocrité pour ne pas dire la malhonnêteté. Retenons ce mot, il fait partie du passé, dé-on-to-lo-gie ! Un mot bien évidemment absent pour qualifier ceux qui ont annoncé la mort de Pascal Sevran et, de ce fait, compte tenu de l’énorme bourde, se dévoilent dans leur posture de vautours tournant autour de ce présentateur dont on se doute bien que la mort est prochaine. Les pourvoyeurs de scoop rodent autour de cette mort, alimentant en SMS le réseau et le journaliste Morandini, pris au piège lui aussi, de confirmer avoir reçu plusieurs SMS annonçant dès 18 h 50 le décès de Sevran, avant la déclaration d’Europe 1. Et quelques autres de relayer la fausse mort ; on imagine le pire s’il n’y avait pas eu un démenti rapide. L’annonce au JT et Sevran devant sa télé, regardant la nécro que sa chaîne lui a concoctée. Revenons vers 19 h 15.

Laurent Ruquier, informé par son oreillette grâce aux bons soins de ses collaborateurs, relaie l’info qui est de source sûre, puisque venant d’Europe 1 et Morandini qui la relaie ensuite parce que l’info vient de France 2, là où officiait Sevran. C’est l’effet domino. Comme dans les subprimes. On se passe le produit avarié. Puis, le même Ruquier qui ne décolère pas, affichant un rictus traduisant le désir de lynchage pour ces pourvoyeurs de fausse info, énervé tel un dealer constatant qu’on lui a vendu un kilo de farine pour 20 000 euros. La profession n’en sort pas grandie et les prétextes invoqués ne leurrent plus personne. Le lendemain, l’animateur du journal de 13 heures sur Canal+ se prend de compréhension pour Ruquier, faisant bloc en jurant qu’il aurait fait pareil. A croire que le journalisme dans l’action est un zombi réagissant telle l’araignée sentant la proie s’agiter dans sa toile. C’est de bonne guerre. Les journalistes sont une corporation solidaire, surtout pour défendre les bourdes de leurs confrères. Je fais pareil que mon confrère, un scoop, ça ne se refuse pas, vite une annonce, il faut être sur l’actu, c’est pro ! Pourtant, on les aimerait plus solidaires de Denis Robert que des égarements dans les caniveaux. Sur le blog de Patrick Jankielevicz, rédac chef de la Voix du Nord, on peut lire un billet sur cette affaire et cette légitime condamnation des mauvais journalistes qu’on ne peut empêcher de mal faire leur boulot. Et, dixit l’auteur, les « internautes peu scrupuleux » relayant les dépêches sans vérifier l’authenticité des sources. Ce propos est flagrant du malaise d’une profession qui cherche à trouver des excuses en accusant des internautes qui, sur ce coup, n’y sont strictement pour rien. S’il y a un responsable, c’est JP Elkabbach. Désigné un peu trop facilement pour excuser les frénétiques du scoop qui, une fois leur vessie pleine, pissent de l’info pour éclairer le monde, prenant leur vessie pour une lanterne. C’est aussi facile de désigner les internautes. Sans doute, les journalistes voient-il dans quelques dérives ordinaires de la toile leurs propres faiblesses. L’hôpital se fout de la charité et le fumeur de cigare accuse ceux qui clopent dans les bars d’être responsables de son cancer.

Que dire de plus ? Anomie aurait dit Durkheim, non pas l’anomie du paysan pervers ou maintenant du jeune qui hante les cages d’escalier, mais anomie de gens de bonne société, ces journalistes qui souvent, officient en costard cravate. Absence de Vergogne, dirait Bernard Stiegler, y voyant l’effondrement des soubassements éthiques et moraux de la société. Un grand homme de la IIIe République disait que la politique, c’est comme le boudin, faut que ça pue la merde, mais pas trop. Et les médias, doivent-ils sentir les égouts, mais pas trop, juste pour ressembler à la ville ?


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