Philippe Alexandre, profession éditorialiste
par Geoffroy Barre
mercredi 28 février 2007
A l’occasion de sa venue à Nantes pour une conférence sur le thème du métier d’éditorialiste, Philippe Alexandre, observateur éclairé de la vie politique depuis plus de vingt-cinq ans, a livré au public son sentiment sur l’actualité, les présidentielles, le métier de journaliste, le tout parsemé d’anecdotes. Rencontre.
Philippe Alexandre c’est avant tout un éditorialiste de talent, qui a marqué RTL, ou il est resté de 1969 à 1996. La station, qui a fêté l’an passé ses quarante ans, servait donc de tribune matinale à cet éditorialiste avisé. « Vous savez, j’ai passé vingt-sept ans à RTL, et un jour, le directeur m’a dit : “Je n’arrive pas à deviner pour qui vous votez”. Je trouve que c’est un beau compliment ». Evidemment au centre du débat, qui se tenait au CCO, l’éviction récente de Duhamel de RTL et de France Télévisions, pour avoir soutenu Bayrou. « Est-ce normal de le sanctionner ? Je veux juste faire une remarque. .Le service public a sanctionné Alain mais pas Jean-Luc Delarue. Je pense que pour l’image de la station, Jean Luc Delarue est bien plus coupable que Duhamel... Je crois que quand on s’adresse à un média très grand public, où il y a des sensibilités diverses, il faut entretenir un devoir de réserve. Je ne me serais jamais permis de dire pour qui je vote. Il faut laisser les uns et les autres se faire leur opinion. La sanction était-elle justifiée ? Je ne sais pas. Quand on est au Figaro, il n’est pas choquant de dire que l’on vote Sarkozy, et quand on est à L’Humanité ou Libération, il n’est pas choquant de dire que l’on vote pour Ségolène Royal. Mais, dans de grands médias, qui plus est de service public, il y a un devoir de réserve. »
Devoir de réserve qui avait été mis en doute en
2002 déjà pour Duhamel, car pour ceux qui ne s’en souviendraient pas,
il avait déjà été privé de campagne, cette fois-là pour avoir écrit un livre avec Lionel Jospin.
Le débat sur la prise de positions des journalistes/éditorialistes fait
débat, en témoigne la récente déclaration de Philippe Meyer sur France
Culture : « En ce qui me concerne, je dois bien avoir dit du bien
ou du mal (et quelquefois les deux, selon le moment) de tous les
candidats connus à l’élection d’avril prochain.
Le meilleur moyen -et sans doute le seul- d’empêcher cette situation
est que chaque journaliste chargé de suivre les affaires publiques
déclare sans haine et sans crainte pour quel candidat il penche. Il est
fort possible que les lecteurs, les auditeurs et les téléspectateurs y
trouvent leur compte et en acquièrent une plus grande confiance (ou une
moins grande méfiance) dans les médias, eux qui se sont plaints, lors
du référendum sur le projet de traité constitutionnel, de l’absence de
mesure de beaucoup de journalistes favorables au oui et qui se
montrent choqués, aujourd’hui, que telle rédaction paraisse rouler à
visage masqué pour la candidate socialiste ou que telle autre fasse feu
de n’importe quel bois pour appuyer le candidat de l’UMP. »
Philippe Alexandre n’a pas pu s’empêcher, et on le comprend, de raconter des anecdotes aux sujets des hommes politiques qu’il a côtoyés. Normal, me direz-vous, pour un éditorialiste qui a démarré à RTL le 27 avril 1969, jour de référendum perdu pour de Gaulle. Car Philippe Alexandre a « pratiqué » Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac. « Pompidou considérait que la presse écrite lui était hostile, et il voulait contrôler les médias audiovisuels. C’était un maître d’école, il corrigeait nos copies. Il disait, M., vous avez dit ceci, ou cela... il commentait nos papiers. » Ses relations avec Giscard ne seront guère plus amicales. « Lors de mes éditoriaux, pendant la campagne de 81, un jour j’ai parlé des diamants de Giscard. Il a boudé la station et n’est jamais venu (ce qui n’a pu que lui nuire car RTL était à l’époque leader des généralistes). Il a boycotté la radio... Un jour, une fois les élections passées, nous nous sommes revus. Il est venu, c’était une réunion, et le directeur lui a demandé, pourquoi n’êtes vous pas venu chez nous pendant la campagne ? Giscard s’est tourné vers son attachée de presse et a dit : Je ne suis pas venu à RTL ? ». Des anecdotes qui évoquent le livre magnifique de Michel Bassi, Cinq présidents à armes égales, où les souvenirs, des débuts de Chirac aux meeting de de Gaulle sont légion.
Philippe Alexandre sera aussi sous la pression de Mitterrand qui demandera clairement son départ (son exil pour les Etats-Unis). C’est Jacques Rigaud, alors président administrateur délégué, qui avait « essayé » de convaincre Alexandre. Mais ce dernier a raconté toute l’histoire dans la presse, aux Nouvelles littéraires, ce qui a eu pour effet de stopper ces pressions.
Un peu de prospective aussi, car il fut question d’Internet et de son intrusion dans le monde des médias « classiques ». Au cœur du débat, cette nouvelle tribune, qui a pris son importance lors du non au référendum sur la constitution. « Les médias traditionnels étaient majoritairement pour le oui, et les blogs, les sites relayaient le non. » Preuve une nouvelle fois que les médias ne font pas une élection. Mais si Philippe Alexandre parle de l’Internet qui est la raison de ce non au référendum, on peut aussi y ajouter une raison plus « sociologique » de rejet de l’opinion dominante. Beaucoup de votants, non internautes, ont réalisé un vote contestataire, c’est mon opinion, et Internet n’est pas le seul responsable de ce non. Au sujet de la régulation de cet espace nouveau qu’est Internet, Philippe Alexandre cite Churchill : « Dans toute extension des libertés démocratiques, il y a, comme disait Churchill, le meilleur et le pire. Je préfère les abus qui sont consécutifs à un excès de liberté, aux abus consécutifs à un excès de dictature. »
Une conférence passionnate pour les auditeurs,
venus nombreux (les murs ont été poussés). A suivre dans le cycle de
l’Observatoire des médias, Valérie Toranian, directrice de la rédaction
de Elle, le 13 mars.