Poivre chavire enfin

par LM
lundi 14 juillet 2008

Jeudi soir, l’implant capillaire le plus célèbre de l’information télévisée rendait les armes, lyrique et vexé, vaincu par l’implacable logique médiatique politique de la chaîne qui l’avait fait roi. Citant Shakespeare et la Bretagne, saluant Roselmack et oubliant soigneusement Ferrari, l’homme tronc s’en est allé, la mèche triste et l’œil bas, abandonnant Pernaut à ses villages.

Il se croyait invincible, inaltérable, inattaquable. Il n’y a pas si longtemps que cela, il avait lui-même annoncé la date de sa retraite (2012), comme si lui et lui seul pouvait décider de s’en aller. Patrick Poivre d’Arvor, PPDA pour les intimes, PPD pour les amateurs de marionnettes drôles, a pourtant fini par s’incliner devant une évidence lourde, limpide et banale  : rien n’est éternel à la télévision. Michel Drucker lui-même pourrait, du jour au lendemain se retrouver sans émission, si Dieu le voulait. Dieu étant à la télévision un concept large, terme englobant le patron de chaîne, ses amis du CAC40 ou quelques ministres, sinon quelque président élu. Dieu est protéiforme à la télévision, et PPDA le sait, depuis longtemps. Oui, mais, le sachant, il avait fini, d’année de triomphe en année de succès, par se sentir inusable, indémodable, regardant passer de plus en plus de cadavres d’ennemis ou d’amis au pied de sa fenêtre, sous son balcon, dans le cours tumultueux du fleuve audimat. D’Arvor est donc tombé de haut, il y a quelques semaines, quand les sbires de Nonce Paolini, le nouvel homme fort de la première chaîne, lui firent savoir qu’il pourrait désormais s’abstenir, tous les soirs à 20 heures, de bien coiffer ses cheveux, pas trop sur le devant, pas trop sur le côté. Il est un peu tombé comme on chuterait d’une de ces armoires bretonnes, lourdes et revêches, dans laquelle s’entassent les souvenirs et les regrets.

Jeudi soir, donc, à la fin de ce qui n’est désormais plus «  son JT  », le Mourousi de ces vingt dernières années, a dû se résoudre aux adieux, en quelques secondes. Il a évoqué, pêle-mêle, son «  succès jamais démenti  », ce «  métier magique  » qui était le sien, «  ce lien  » qu’il prétend avoir tissé avec les téléspectateurs dont il dit que «  nul ne peut le défaire  ». Avant d’embrasser «  toute la rédaction  », de laisser les téléspectateurs entre les «  bonnes mains  » d’Harry Roselmack, qui prendra ses quartiers d’été, et d’assurer tout son monde qu’ «  on se reverra très vite  », plagiant un peu Mitterrand qui, au seuil de sa mort avait déclaré «  croire aux forces de l’esprit  ». «  Adieu vat  » conclura PPDA avant que son ex-employeur l’assassine d’une compilation morbide de ses moments majeurs  à la tête de l’information made in Bouygues  : PPDA avec Saddam Hussein, PPDA au Darfour, PPDA en Irak, PPDA avec Chirac, et à la fin, comble du vice, une image de Sarkozy répondant au fameux «  petit garçon  », qualificatif vexant censé justifié selon certains l’éviction du journaliste. Le diaporama fini, on vit PPDA rejoindre son équipe, applaudi, à demi célébré. Un adieu made in TF1  : ampoulé, maladroit, vulgaire et faux.

 



L’impression laissée, c’est d’avoir assisté à la petite mort d’un homme, en direct, et ça, ça marche toujours. Et cette fois ci encore ça a bien fonctionné  : plus de 9 millions de badauds ont assisté au crash. Mirifique audience, de quoi ouvrir le champagne. La petite mort d’un homme, qui s’efforce dans ses propos de croire qu’on ne l’oubliera jamais, que toujours on se remémorera, avec regret, sa diction inimitable, ses expressions ou ses œillades quand il interviewait les jolies actrices. La petite mort d’un prince percuté par une voiture de luxe, en pleine présidence bling-bling  : que du banal en somme, rien de bien neuf. Que Sarkozy remplace une vieille bretonne par une grosse cylindrée, ce n’est pas étonnant. Mais ce prince là, imbu et paternaliste, a longtemps cru que tout ça ne lui arriverait jamais. Pourquoi en effet, envisager de se passer d’un si fort vecteur d’audience  ? N’est ce pas là l’inverse même du principe d’une télévision commerciale  ? Il y a de quoi s’arracher les deux trois mèches qui vous restent  ! Et PPDA, manifestement, au vu de la tête qu’il tirait jeudi soir, n’a pas encore compris ce qui lui est arrivé. Ne pas entendre arriver une Ferrari, franchement, faut être un peu dur de la feuille  ! Penser une seconde qu’un tout frais patron de chaîne, intronisé par le pouvoir en place, allait laisser passer le moindre écart, faut être ingénument naïf. Sur ce coup là, ce pauvre d’Arvor nous a fait une Pujadas  ! Paolini est là pour nettoyer la maison, de fond en comble, et il avait très tôt annoncé PPDA comme priorité principale de sa salle de trophées. Obtenir le scalp du présentateur le plus vedette avec Pernaut, c’était son leitmotiv, au Nonce  ! PPDA ne pouvait pas l’ignorer, à moins d’être coupé de sa rédaction, de ne pas lire la presse ou de faire la sourde oreille.

 

 

Aujourd’hui, pourtant, il témoigne de son incrédulité. Incrédulité d’avoir été viré sans raison (un départ «  inanalysable  » dit-il), incrédulité d’avoir reçu une «  lettre de licenciement  », incrédulité devant la brutalité et la soudaineté de l’attaque. Aujourd’hui, le druide celte ne sait pas ce qu’il va faire. Il ne sera pas du prochain 14 juillet, il en aurait eu pourtant des questions à poser au nouvel ami syrien du «  petit garçon  », et à Ingrid Bétancourt, invitée elle aussi pour la nouba révolutionnaire. Il est déçu, PPDA, désormais uniquement de latex et de rire sur Canal+, jusqu’à ce qu’un autre le remplace. Il pourra toujours tenter une tournée des supermarchés ou une chaîne du câble, une émission de radio ou quoi que ce soit qui le maintienne en vie publique, qui permette au «  lien  » de perdurer, entre son public et lui… Quel cirque  ! Et quelle rigolade  ! Non mais, de qui se moque-t-on  ? Le principal reproche qu’on puisse faire à ceux qui ont coupé la tête de l’homme tronc du 20H, c’est d’en avoir fait du même coup une bête à pleurer, un sujet d’apitoiement, voire même, pire, un grand journaliste. A qui fera-t-on croire cela  ? A qui ces inepties tireront ne serait-ce qu’une larme  ? Qu’est ce que c’est, au fond, que le départ d’un présentateur télé, si ce n’est un non évènement, une galipette, ou un sujet de rigolade  ? PPDA, combien de divisions  ? Pas mieux que Pernaut, le d’Arvor, en terme de sous information, en terme de vaine gesticulation. PPDA, un redoutable interviewer, impertinent et indépendant  ? Laissez cela aux naïfs ou aux lecteurs de Télé7 Jours. Personne n’y croit, personne n’y a jamais cru  !

Il était plus que temps que les têtes changent, ou au moins tombent, à la télévision. Et peut-être PPDA ne sera-t-il que le début d’un mouvement plus large, on peut toujours rêver, qui enverra par le fond d’autres carnes télévisuelles, d’un calibre douteux et d’une attitude limite, bien sûr Jean Pierre Pernaut, bien sûr Michel Drucker, bien sûr toute l’équipe des sports de France 2, qui scandalise la mode avec ses chemises spécial Tour de France, d’un bleu outrageant, mal taillées, mal portées, ni faites ni à faire. En finir avec Stade 2, et Vivement Dimanche  ! Allons y, sabre au clair, faisons table rase  ! Si Sarkozy peut servir à cela, qu’il y aille, sans retenue et sans merci, sans partage et sans pitié  ! De toute façon, on s’en contre fout de savoir qui présente le journal, on ne le regarde pas pour s’informer mais pour mater. Alors autant reluquer Laurence Ferrari ou Anne Sophie Lapix, entre deux massacres ou deux catastrophes, c’est toujours ça de pris sur la bonne humeur  ! Et puis personnellement, paraphrasant PPDA, me retrouver chaque soir à 20h entre les «  bonnes mains  » de Laurence Ferrari, y’a pire comme purgatoire  !

 

Allez Patrick, souris donc, il te reste tes «  romans  » et tes bateaux, ta Bretagne et ta mer, ton sex appeal (mais sans maquillage), ta voix (mais sans micro), ton regard (mais sans caméra). Comme ton héros, Saint Ex, tu t’es abîmé en mer, mais en une mer de sarcasmes. Ils et elles seront suffisamment nombreux et nombreuses à t’envoyer des mots de réconforts pour que je ne me joigne pas à la liste. Repose en paix, PDA.


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