Pouvoir, police et médias

par Michel DROUET
mardi 20 décembre 2011

« La police vous parle tous les soirs à 20 heures » : Ce slogan de mai 1968 qui agrémentait un dessin où l’on voyait un policier en uniforme devant le micro de l’ORTF était destiné à mettre en lumière l’emprise du pouvoir politique sur les médias de l’époque. Le gouvernement faisait alors pression sur les patrons de presse (écrite et audio visuelle) pour minimiser les « évènements » et distiller au bon peuple une information aseptisée.

Plus de ça aujourd’hui ! La presse est libre, officiellement au moins.

Les choses se passent de manière plus feutrée : en haut de l’édifice, il y a le pouvoir qui nomme désormais les présidents de chaînes publiques et pour les chaînes privées ou pour la presse écrite, il n’y a pas trop de problème surtout lorsque l’on constate que beaucoup de titres sont entre les mains d’amis bienveillants.

Lorsque l’on décline les choses au niveau des rédactions, force est de constater que les trublions, les enquêteurs maladroits (ceux qui mettent en cause le pouvoir), ou tout simplement ceux qui souhaitent exercer leur métier correctement doivent avant tout se conformer aux lignes éditoriales s’ils veulent conserver leur gagne pain. La clause de conscience n’est ainsi que peu utilisée.

La télévision est en première ligne de ce système de soumission, de prudence, voire d’anticipation, et les journaux télévisés des chaînes publiques de 13 ou 20 heures, entre un sujet sur la crise, un autre sur le triple A, ne manquent jamais de parler longuement des fait divers.

Crimes, délinquance, agressions de toutes sortes tiennent une place importante dans les journaux télévisés et obéissent à un scénario bien rodé :

1 – L’exposé des faits par le présentateur du journal avec la gravité qui convient

2 – L’envoyé spécial sur le terrain qui rappelle les mêmes faits, ne sait pas grand-chose et brode (sur fond de gyrophares et d’images pas toujours en rapport avec l’évènement).

3 – L’interview d’un voisin ou d’une voisine qui n’a pas vu, ou entendu grand chose, mais qui avec une émotion palpable et compréhensible, ajoute souvent à la dramaturgie.

4 - L’interview d’une « autorité » (procureur, officier de sapeur pompier, capitaine de police ou de gendarmerie) qui rappelle les mêmes faits en langage administratif et technique froid, n’apporte rien de plus, mais montre que les pouvoirs publics prennent les choses en mains.

5 – Souvent, désormais, nous avons également droit à une intervention d’un représentant d’un syndicat de policiers qui donne la version de son syndicat, pas toujours mieux informé. A ce stade on ne sait toujours rien de plus sur les circonstances d’un fait divers, dont l’enquête, qui débute à peine, est normalement tenue secrète. 

6 – Enfin, pour les évènements les plus dramatiques, nous avons droit à la visite sur place du Ministre de l’Intérieur, voire du Président de la République en personne, qui annonce généralement le renforcement du dispositif répressif par le vote prochain d’une nouvelle loi en omettant de parler de celles qui existent déjà et qui ne sont pas appliquées faute de moyens ou de décrets signés.

C’est ainsi, les journaux télévisés se contentent de renouveler paresseusement à chaque fois ce type de mise en scène bien rodée.

Comment refuser, par ailleurs, une belle image à un ministre de l’intérieur qui se déplace spécialement sur le terrain ? On ne donnerait pas cher de la peau d’un rédacteur en chef qui refuserait de mettre à l’antenne l’intervention dudit Ministre.

Ainsi cadrés et scénarisés, les faits divers entretiennent le fameux sentiment d’insécurité et permettent de conforter le discours officiel sur la délinquance, sa répression et la faiblesse de la réponse judiciaire.

Pour ceux qui n’auraient pas envie de s’endormir immédiatement et qui voudraient voir et revoir de belles images de la police, de gyrophares, de descentes musclées dans les banlieues ou de poursuites de délinquants sur les autoroutes, il y a aussi des chaînes privées de télé qui se sont fait une spécialité de la diffusion et de la rediffusion à 20 h 30 d’images, généralement tournées la nuit, et où il n’est pas possible de distinguer grand-chose à cause du floutage (des policiers, des délinquants présumés, des plaques d’immatriculation et des façades d’habitation, des témoins,…) .

Qu’importe, dans ces cas là un bon commentaire vaut toutes les images et cela conforte le citoyen dans l’idée qu’il est bien protégé, même si, RGPP oblige, les moyens attribuées à la police et à la gendarmerie diminuent chaque année.

Cette situation est-elle nouvelle, et le pouvoir en place est-il le premier à vouloir instrumentaliser les médias et les forces de l’ordre à son profit ?

Certes non, et ce serait manquer d’objectivité que de dire que cela n’existait pas auparavant, sous des formes diverses. Un exemple célèbre d’escamotage, d’autocensure médiatique et d’utilisation de moyens policiers pour son profit privé, cette fois (masquer sa double vie), nous a été donné sous le règne de F. Mitterand et d’autres dérives ont certainement existé sous les autres présidences.


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