Propaganda et contre-propagande

par Dancharr
jeudi 15 mai 2008

La désinformation, la manipulation et le mensonge sont les armes qui nous attaquent en permanence via la publicité, les médias, les discours. Ils nous font acheter des crèmes miraculeuses, croire des menteurs, trouver beau, utile, ce qui est laid, inutile. Parce que nous nourrissons notre opinion à ces épiceries, il faut, pour éviter la pollution, garder l’esprit critique. Ce souci avait suscité cette réflexion.

Dimanche 17 février au soir, je regardais par curiosité l’inusable Mission Impossible 20 ans après. Le scénario est, comme d’habitude, simpliste, le traitement efficace. L’équipe doit détruire une fabrique d’armes de destruction massive à base de graines porteuses d’un virus mortel. Le pays est arabe, sans plus de précision. Pour entrer dans la place, il y a la sempiternelle substitution de personnes. Les Américains sont très malins, très efficaces, très forts, les méchants très bêtes, très cruels. Ils seront punis à la fin de leur méchanceté par une explosion qui détruit tout. Je n’insiste pas sur les invraisemblances, l’imagerie naïve, les ficelles grosses comme des cordes. Il s’agit, à l’évidence, d’une œuvre de propagande à la gloire du héros américain et destinée à rassurer ceux qui pourraient douter de la capacité des Etats-Unis à se défendre.

Cette série – et combien d’autres films de la machinerie hollywoodienne – sont une parfaite illustration des idées d’Edward Bernays (1891-1995) neveu de Sigmund Freud émigré aux États-unis et un des pères fondateurs des « relations publiques ». Son livre phare Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie, publié en 1928 reste actuel. Il y donne les clés du management des opinions et pas seulement dans le domaine politique. Joseph Goebbels, ministre de la Propagande du régime nazi, fut un lecteur particulièrement attentif de Propaganda. Pour Bernays, la meilleure façon de façonner la volonté d’un peuple est de jouer avec les émotions. L’actualité démontre l’évidence de la proposition.

Il faut revoir de temps en temps Mission impossible, ce feuilleton-culte, cette caricature, pour être conscient de la manipulation, conserver la tête froide et exercer l’esprit critique. Je sais que des décennies de matraquage médiatique et politique rendent son exercice difficile à ceux qui ne prennent pas le temps de réfléchir par eux-mêmes. Il devrait leur suffire pourtant de se rappeler et de comparer. Ils étaient les premiers à s’esclaffer devant la propagande communiste des années de guerre froide où le héros soviétique était exalté, encensé, quasiment déifié, lui qui était en train de construire le paradis sur terre. Le ridicule sautait aux yeux et l’effet n’emportait pas la conviction. La propagande américaine est à peine plus subtile. Elle est seulement plus « glamour » et ses effets spéciaux spectaculaires font oublier le message qui ne se donne même pas l’élégance d’être subliminal.

Mais pourquoi la « Propaganda » se gênerait-elle puisque l’opinion lui est aussi acquise que l’était celle des communistes. Ceux-ci nous apparaissaient pourtant bien crédules, bien naïfs.

Nos critiques accueillent avec enthousiasme cette production ambivalente : divertir pour attirer puis influencer l’opinion pour la convaincre d’une supériorité politique. Cet investissement des salles de cinéma, des écrans de télévision et des esprits est rendu possible parce que la colonisation est achevée depuis longtemps. La pâmoison qui saisit l’essentiel de nos élites et de leurs épigones journalistes pour ce qui vient d’outre-Atlantique est tel qu’ils supportent très mal et rejettent même les Américains qui ont de leur pays une vision effrayée, qui en dénoncent le caractère totalitaire, qui mettent en doute la liberté de la presse, qui ne se satisfont pas de la politique sécuritaire, qui s’insurgent sur les attentes à la liberté individuelle et se demandent pourquoi leur pays se veut le maître du monde.

Le traitement qu’a eu le film de Brian de Palma Redacted sur la guerre d’Irak est éclairant. Il y dénonce avec force et en s’appuyant sur des faits réels les exactions sur les civils. Il est interviewé dans le supplément TV du Nouvel Obs. Ses interrogations négatives montrent que le journaliste est presque ennuyé de devoir interroger un cinéaste qui a eu l’idée saugrenue de s’intéresser à cette guerre et de la traiter de cette façon-là. « Ne craignez-vous pas qu’on vous reproche… » - « Pourquoi ne pas avoir réalisé un documentaire ? », etc.

Il ne réagit pas quand De Palma rappelle que son film s’appelle Redacted parce qu’il a été « nettoyé ». Il ne relève pas non plus la colère de De Palma qui dit « Je suis révolté. Ce type a provoqué tellement de dégâts en huit ans : il a déstabilisé le Moyen-Orient, souillé l’image de l’Amérique… ».

De Palma commet un crime de lèse-majesté et Olivier Bonnard n’est pas de sa chapelle. Le même, dans la page critique, le note sévèrement, lui reprochant de ne pas faire dans la dentelle, de faire un objet étrange, théorique…

Télérama l’aime encore moins. Le critique et le spectateur français n’aiment pas que l’on dise du mal de l’oncle Sam, ce tonton si bon qui nous a sauvés si souvent, parce qu’on a réussi à les persuader depuis longtemps qu’il était le messie. Mais c’est un messie qui n’aime ni la concurrence ni la contre-propagande. L’exemple est récent et démonstratif. La Vallée des loups est un film turc sur la guerre d’Irak qui a connu un grand succès en Turquie, mais aussi en Allemagne où vit une importante population turque. La situation y est renversée : le méchant est Américain, et le héros invincible est Turc. Le réalisateur reprend tous les poncifs hollywoodiens du film de guerre à la Rambo avec une base de départ tirée de la réalité.

L’accueil extra-turc de ce film est instructif : « ce film irresponsable cultive la haine et la défiance à l’égard de l’Occident », déclare le président de la branche bavaroise de la CSU.

En France, la distribution a été microscopique. Le CNC a proposé son interdiction aux moins de 16 ans. On constate dans la réalité donc que, dans nos démocraties exemplaires, si la propagande est possible (voir Mission Impossible et ses Arabes démoniaques), la contre-propagande est impossible. Même quand le journaliste en a l’idée, il s’autocensure, très vite, épouvanté à l’idée que l’on pourrait le taxer d’antiaméricanisme primaire, ce péché contre la foi.


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